À Brooklyn, durant une journée d’été, trois criminels entrent dans une banque pour la dévaliser. Un premier change d’avis et sort à peine le braquage commencé. Restent Sonny et Sal qui se font remettre le peu d’argent présent dans la banque. Leur braquage dégénère et ils se retrouvent assiégés par la police.
À l’origine : une histoire vraie, celle de John Wojtowicz et Ernest Aron. Un braquage, une romance homosexuelle, des types sans le sou… Peu surprenant que le réalisateur américain Sidney Lumet se soit emparé de ce fait divers pour le moins étonnant et l’ait transformé en un film de deux heures sciemment nommé Dog day afternoon (Un après-midi de chien).
Cette expression utilisée par les anglo-saxons, désigne une journée de canicule. Car il fait très chaud, en cette après-midi du 22 août 1972 lorsque Sonny Wortzik et ses deux acolytes décident de cambrioler une petite banque new-yorkaise. Une fois à l’intérieur, les événements prennent une tout autre tournure : Sonny (Al Pacino) et son ami Sal Naturile (John Cazale) se retrouvent seuls, tandis que leur troisième compagnon déguerpit, et réalisent que les convoyeurs ont récupéré l’argent plus tôt le matin, laissant la banque vide. Rapidement, des passants préviennent la police ; en quelques instants, Lumet pose l’intrigue. Les deux braqueurs, bloqués, ne quitteront plus le périmètre jusqu’aux dernières minutes du film, pas plus que les spectateurs. Naît alors un sentiment d’enfermement qui se fait de plus en plus oppressant tandis que le film avance grâce à divers techniques scénaristiques.
D’abord, la chaleur écrasante, dedans comme dehors ; à l’intérieur de la banque, il n’y a plus de climatisation tandis qu’à l’extérieur, le soleil brûle. Sonny transpire. Un double symbole puisque l’imaginaire collectif associe souvent ce geste à une tension grandissante. Les gouttes de sueur deviennent alors sujettes à une interprétation différente. Ensuite, les plans, de plus en plus serrés qui, petit à petit, isolent Sonny et Sal et exhibent, de très près, leur désarroi et leur mal-être. Car si le film débute par des plans larges de New-York, soulignant la banalité de cette journée aoûtienne, le spectateur se retrouve rapidement emprisonné parmi les lumières artificielles de la banque et les crépitements des flashs des photographes curieux.
Cette technique d’enfermement vise à exposer un microcosme révélateur afin de mettre en exergue la complexité psychologique des personnages en faisant fi des superflus. Lumet, maître de ce procédé, l’utilise également dans 12 Hommes en Colère, œuvre majeure de sa filmographie.
Les personnages occupent une place prépondérante au sein du film et celui de Sonny en particulier. Ce dernier, tout sauf braqueur, père de famille qui ne supporte plus sa femme au point de la menacer physiquement, enchaîne les petits boulots et les petits délits. Il peine à se faire comprendre, avec l’impression que le monde entier ne l’entend pas. Ce sentiment d’incompréhension se retrouve notamment à travers les dialogues entre Sonny, le chef de la police (Charles Durning) et les médias. D’un côté, un braqueur qui transpire le désarroi et l’amateurisme, de l’autre, des moyens colossaux déployés par les forces de l’ordre (dont des centaines de policiers et un hélicoptère), des médias en quête de sensationnel et des passants voyeuristes, prêts à tout pour passer devant les caméras.
À travers ce déséquilibre criant, Lumet dénonce à la fois le consumérisme, la société du spectacle et le mépris et l’indifférence que subit la classe populaire américaine. Plus qu’une simple histoire de braquage qui tourne mal, Dog day afternoon apparaît plutôt comme la véritable mise en scène d’un drame social.
Qui plus est lorsque le personnage principal se révèle être homosexuel. En effet, Sonny aime Léon (Chris Sarandon), un homme avec qui il s’est marié quelque temps plus tôt. D’ailleurs, le braquage, il l’a fait pour lui payer son opération de changement de sexe. Cette révélation, qui s’opère à la moitié du film, apparaît comme un véritable tournant, conférant une approche relativement moderne au long-métrage. Car, si les émeutes de Stonewall, survenues en 1969, ont permis l’apparition de collectifs gays et lesbiens, les questions d’identités et d’orientations sexuelles sont encore loin d’être entrées dans les mœurs américaines.
Sans considérer le choix du cinéaste comme engagé, on peut néanmoins le qualifier de progressiste. Certes, l’histoire s’inspire d’un fait divers réel, mais Lumet, conscient du potentiel subversif de son film, n’a tout de même pas tenu à l’édulcorer. Le réalisateur réussit une manœuvre complexe qui, encore aujourd’hui, fait défaut à certains longs-métrages : filmer l’homosexualité et la transsexualité comme un sujet banal, sans s’y attarder. Avec, en prime, une star hollywoodienne en guise d’interprète.
Al Pacino, héros du Parrain quelques années plus tôt, joue en 1975, le rôle d’un petit gangster. Qui l’aurait cru ? Pourtant, les critiques citent régulièrement son interprétation de Sonny comme l’une des meilleures de sa carrière. Et pour cause, l’acteur réussit à créer un sentiment d’ambivalence et de flou autour de son personnage. Sonny est-il un héros romantique, un citoyen raté, un homme au psychisme fragile, ou bien tout cela à la fois ? Lumet et Pacino laissent à chacun la possibilité de l’interpréter comme bon leur semble, sans aucun jugement, ce qui fait notamment de Dog day afternoon un véritable chef d’œuvre.