Lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier, retrouve par hasard son ancienne voisine, Haemi, qui le séduit immédiatement. De retour d’un voyage à l’étranger, celle-ci revient cependant avec Ben, un garçon fortuné et mystérieux. Alors que s’instaure entre eux un troublant triangle amoureux, Ben révèle à Jongsu son étrange secret. Peu de temps après, Haemi disparaît…
Avec seulement six films réalisés en l’espace de deux décennies,
Lee Chang-Dong est un réalisateur-scénariste aussi rare que talentueux. Hit ans se sont écoulés depuis son dernier film Poetry, prix du meilleur scénario à Cannes en 2010. Sa sélection au festival de Cannes était très attendue, à juste titre, Burning s’avère très intéressant à plus d’un titre …
Le cinéaste sud-coréen, à qui l’on doit aussi l’inclassable Oasis multi-récompensé à la Mostra de Venise 2002, fait ici l’adaptation des Granges brûlées, une nouvelle du romancier japonais Haruki Murakami, qui de l’aveu même de Chang-Dong, relate une histoire où il ne se passe rien !
« Ce mystère recèle une dimension très cinématographique. On allait pouvoir en faire quelque chose de plus grande ampleur et de plus complexe. Ces trous béants dans l’enchaînement des événements, la pièce manquante qui nous empêche de connaître la vérité, font référence au monde mystérieux dans lequel nous vivons aujourd’hui, ce monde dans lequel on sent bien que quelque chose ne va pas, sans pourtant réussir à expliquer précisément de quoi il s’agit ».
Burning commence comme une banale chronique d’un amour naissant entre Haemi (Jong-seo Jeon) et Jongsoo (Ah-in Yoo). La première est fantasque et dynamique mais parcourue d’élans de tristesse. Le deuxième, introverti et observateur, lui oppose sa placidité.
Alors qu’une émission radiophonique vient de faire état que la Corée du Sud est le pays de l’OCDE qui connait la plus forte progression du chômage chez les jeunes, Ben (Steven Yeun) est intronisé en « Gatbsy le magnifique ». Urbain et fortuné, ce jeune homme habitant les beaux quartiers de Séoul se présente en concurrent pour Jongsoo, désargenté et originaire de la campagne limitrophe à la Corée du Nord. Pour Lee, les deux rivaux symbolisent les conflits de classe en Corée du Sud dans un récit mâtiné de drame social. Notons au passage que le cinéaste fait des questions sociales abordées (la Corée du Sud estampillée « no country for women », la propagande nord-coréenne, la politique d’immigration de D. Trump) une toile de fond et non une fin en soi.
Le triangle amoureux mis en place fait se rencontrer, un peu contre nature, trois solitudes représentatives de la jeune génération. Il constitue un terreau fertile aux ressentiments notamment pour Jongsoo pour qui « le monde reste un mystère » alors que Ben considère la vie comme un jeu dont les règles douteuses resteront mystérieuses. Sans parler de réel malaise, une ambiance étrange, difficile à décrire, s’installe dans les interactions observées dans ce trio.
Comme son personnage principal, Burning scrute, observe pour finalement muter en film de filature après « l’évaporation » soudaine de Haemi. Au fil de ses changements de tonalité, le film ne cesse de se réinventer. Sa deuxième partie vire ainsi au thriller psychologique intimiste mais sans en prendre réellement les apparences. Lee laisse flotter son ouvrage grâce à un énorme travail sur l’illusion que la scène de pantomime de Haemi annonce dès le début du film. La jeune héroïne donne la clé du film : il faut oublier que l’objet n’existe pas. Est-ce que le propos métaphorique de Ben relatif à l’incendie tous les deux mois de serres sous prétexte qu’elles sont trop nombreuses, abandonnées et ne servent à rien relève de la pure affabulation ? Est-ce que l’apprenti écrivain Jongsoo s’inspire de ce qu’il est en train de vivre pour écrire un premier roman d’un genre indéterminé ? Est-ce qu’une pierre peut se cacher dans un cœur comme un chat dans un appartement ?
Le film laisse volontairement ouvert l’ensemble des sujets qu’il introduit. Il profite en ceci de l’espace que la nouvelle lui laisse. Il s’inspire également du principe si cher à la littérature américaine moderne, Faulkner en tête, qui fait la part belle aux ellipses narratives, à une forme de déconstruction du récit, qui appelle le lecteur (ici le spectateur) à se remémorer de petits détails, d’apparence anodine, pour reconstituer la toile d’ensemble.
« […] bien que le film soit une adaptation de la nouvelle de Murakami, il s’inspire aussi en partie de l’univers de Faulkner. […] les deux écrivains racontent la même histoire de deux façons contraires : si la grange de Faulkner est bien réelle, puisque c’est l’objet vers lequel il dirige sa colère, la grange de Murakami est une métaphore plutôt qu’un objet tangible »
D’ailleurs, cette impression manifeste qu’il nous reste après avoir vu Burning d’une transposition sur grand écran d’une oeuvre de Faulkner, s’avère véridique: Chang-Dong nous apprend que son récit (et probablement son titre aussi) emprunte à L’incendiaire, une nouvelle de Faulkner.
Avec un minimum d’effets et par le seul langage cinématographique, Lee Chang-Dong parvient ainsi à faire ressentir une large gamme d’émotions. Sommes-nous dans la réalité ou le fantasme ? L’aspect troublant de Burning est aussi servi par des scènes relevant de la pure grâce, des actions peu dramatisées et une narration elliptique bien plus suggestive que démonstrative. Le fil narratif suit un scénario sans faille dont l’écriture est aussi remarquable que précise. Des éléments du récit pourront paraître relever du détail, ils prendront tous, tôt ou tard, une véritable importance. Enfin, Burning aborde avec une délicatesse et une intelligence devenue rare un sujet pourtant très adhérent à un traitement manichéen et moqueur. Nous pouvons accoler les mêmes qualificatifs au traitement des personnages et à la direction des acteurs.
La beauté visuelle, parfois hypnotique, de Burning est relayée par un habillage musical discret et toujours efficient. Là encore, le suggestif l’emporte amplement sur le démonstratif. Tout dans ce film participe à dilater le temps. Et Chang-Dong étire le mystère de son récit jusqu’à la dernière scène filmée en un unique plan-séquence remarquablement composé. Ici, un bref échange de regards pourrait renverser l’empathie accordée aux protagonistes. C’est l’ultime et prodigieux moment de pure cinématographie dans un univers de cinéma sidérant.
Ce bel objet mystérieux, métaphorique et hypnotique remarquablement écrit est un grand film, un très grand film. Il fait partie de ceux, rares, qui ne souffriront jamais d’être vus et revus tant la part de mystère y est importante.
Addendum: Burning a reçu le prix Fipresci de la critique internationale lors du dernier festival de Cannes, mais ne figure pas au palmarès officiel ! ce qui pour le moins est critiquable !