De nos jours, à Marseille, des réfugiés de l’Europe entière rêvent d’embarquer pour l’Amérique, fuyant les forces d’occupation fascistes. Parmi eux, l’Allemand Georg prend l’identité d’un écrivain mort pour profiter de son visa. Il tombe amoureux de Marie, en quête désespérée de l’homme qu’elle aime et sans lequel elle ne partira pas…
Transit est de ces films qui pierre après pierre impose son atmosphère, plus encore que son récit. Son inspiration est résolument littéraire, quelque part entre le jeune Doistoievski (les nuits de la jetée) et l’existentialisme. Du côté d’Anna Seghers plus précisément puisque le film est une adaptation, une transposition du roman éponyme.
L’ambition du livre comme du film est de retranscrire cet état si particulier où des êtres peuvent se trouver quand ils se retrouvent dans une situation d’attente, sans repères, obligés de fuir pour vivre, pour avoir une chance d’avoir un avenir, sans garantie qu’il puisse mener quelque part. Christian Petzold nous invite donc à rentrer dans ce sas, où anciens combattants de la guerre d’Espagne, déserteurs, juifs, écrivains, artistes et opposants allemands au nazisme, certains réfugiés – tous pourchassés par la Wehrmacht – s’entassent. Ils sont non loin de Marseille, en attente d’un hypothétique embarquement vers la liberté.
Le réalisateur allemand, habitué de la Berlinale, marque les esprits d’entrée en décidant de ne pas se soucier d’une quelconque restitution. Le parti-pris est fort, symbolique. L’histoire appartient certes à l’histoire, mais l’histoire se répète sans cesse. Le récit démarre à Paris, les sirènes des voitures policières résonnent; ce sont des fourgons récents. Il ne s’agit pour autant pas de trahir l’histoire dont elle nous semble qu’elle aurait parfaitement sied aux univers d’un Téchiné ou d’un Ozon – ce dernier a d’ailleurs soufflé le nom Paula Beer, son interprète de Franz.
Au départ et au centre de cette histoire, le destin d’un étranger nommé Georg, interprété par Franz Rogowski, le Joachim Phoenix allemand dira-t-on, qui présente un visage à multiples faces, ressort très intéressant dont Petzold a su profiter.
D’une certaine façon l’histoire est essentielle, elle tire le nécessaire fil conducteur, trés élégant, fin, nuancé, mystérieux et imprévisible. On embarque. De l’autre, de façon ambivalente, elle est très secondaire. Elle est prétexte à la peinture, au portrait non d’un personnage, non d’un lieu, non d’un temps, mais d’un état d’âme.
L’ambiance portuaire s’exprime, les gens sont de passage. Plus encore ici, les personnages apparaissent tels des fantômes, on les sent « en transit ». Des histoires s’invitent dans la trame principale; les protagonistes s’entrecroisent, s’observent, interfèrent, de façon quasi chorégraphié. Le procédé narratif avance masqué, avec grâce. Le puzzle se reconstitue pièce après pièce, personnage par personnage, aspiration par aspiration, sentiment par sentiment; au compte goutte, presqu’au sablier.
Le roman empruntait probablement à l’esprit romantique du jeune Doistoievski quand il écrivait Nuits blanches sur la jetée, une histoire d’amour sera projetée (elle sera même ici vécue), embrassée, rêvée …