Conclave, réalisé par Edward Berger, se distingue par sa capacité à mêler thriller politique et réflexion sur les luttes internes du Vatican. Loin d’être un simple récit sur l’élection papale, le film plonge au cœur des tensions qui déchirent l’Église, une institution rongée par des intrigues de pouvoir, des scandales et une corruption morale qui gangrène la pureté de ses valeurs.
Le cardinal Lawrence, interprété avec talent par l’oscarisable Ralph Fiennes, incarne un administrateur honnête et intègre du Saint-Siège. Sa prestation mesurée et intimiste donne à ce personnage une profondeur rare dans un environnement où les manipulations sont légion. Si sa quête du « dernier agneau » semble spirituelle, elle représente aussi une lutte pour la survie morale de l’Église, prise dans un tourbillon de corruption et d’immobilisme. Le réalisateur suggère que, pour Lawrence, il s’agit de préserver l’idéal chrétien tout en cherchant une voie vers une Église capable de se réinventer, conciliant tradition et progressisme.
Le film impressionne par sa richesse visuelle et son sens du détail. La beauté des cadrages, sublimée par un travail de lumière remarquable, confère à chaque scène une tension palpable. Les jeux d’ombres et de lumière, soigneusement orchestrés, accentuent l’oppression qui pèse sur les cardinaux, chaque geste et regard semblant lourd de signification.
Cependant, le scénario, parfois trop prévisible, manque de nuances, en particulier dans les intrigues de pouvoir entre les cardinaux. La clarté narrative, bien qu’elle guide le spectateur, tend à amoindrir la tension dramatique. Le film aurait gagné en profondeur en explorant davantage les rivalités internes et en développant plus largement la question du genre, seulement effleurée à travers le personnage de Sœur Agnès (interprétée par Isabella Rossellini).
Un atout majeur de Conclave réside dans son approche quasi-documentaire de l’élection pontificale en huis clos. Berger excelle à rendre tangibles les rituels et l’organisation de cet événement millénaire. Chaque scène d’élection, de débat secret ou de manœuvre en coulisse reflète une Église ancrée dans les paradoxes de notre époque. La mise en scène méticuleuse et la maîtrise du cadrage immergent le spectateur dans cette mécanique de pouvoir. La tension s’installe progressivement, mais elle se voit souvent affaiblie par une narration trop didactique et des choix esthétiques parfois trop appuyés.
Le décor du film, notamment la rencontre entre l’architecture de la Renaissance et la modernité de l’administration papale, symbolise l’ambivalence de l’Église elle-même. D’un côté, les fresques majestueuses de Michel-Ange et l’architecture imposante témoignent d’un passé glorieux. De l’autre, les bureaux froids de l’administration rappellent les enjeux politiques et la modernité de l’institution. Ce contraste illustre le déchirement de l’Église entre son héritage et sa nécessaire adaptation au monde contemporain. Les tortues, présentes dans plusieurs scènes, incarnent une forme d’immobilisme institutionnel, une Église prise dans ses traditions séculaires. Toutefois, leur fuite symbolise une institution tentée par une rupture, mais qui aspire à se réinventer lentement dans un lieu clos. Bien que laborieuse, cette évasion reflète la difficulté de l’Église à se réformer malgré sa volonté de transformation, encore incertaine et douloureusement lente.
Conclave aborde discrètement la question du genre au Vatican, avec le personnage interprété par Isabella Rossellini, une religieuse rompue aux intrigues de pouvoir. Toutefois, cette question, bien qu’intéressante, n’est pas suffisamment développée pour offrir une réflexion plus poussée sur la place des femmes dans l’Église.
Le cinéaste allemand Edward Berger (A l’Ouest rien de nouveau) interroge l’identité d’une Église tiraillée entre un passé glorieux et un avenir incertain. Bien que le film éclaire les enjeux de cette transformation, il dépeint une institution gangrenée par ses luttes internes et une corruption qui ébranle ses fondations spirituelles.
La quête du dernier agneau, menée par le cardinal Lawrence, incarne un chemin de survie morale dans un univers ecclésiastique où les ambitions personnelles se heurtent à une corruption omniprésente. Si la conclusion s’appuie sur un rebondissement final audacieux, celui-ci perd de son impact en raison d’un traitement scénaristique trop prévisible. Cependant, cette faiblesse n’éclipse en rien la réflexion stimulante et le plaisir que le film offre sur l’Église contemporaine : une institution marquée par une histoire millénaire, mais toujours en quête d’un avenir à réinventer face aux enjeux du monde moderne.