Milieu des années 1980, le quartier du Queens à New York est sous l’hégémonie du promoteur immobilier Fred Trump, père de Donald Trump, le futur président des Etats-Unis. Un adolescent étudie au sein du lycée de Kew-Forest School dont le père Trump siège au conseil d’administration de l’école et dont Donald Trump est un ancien élève.
James Gray revient sur la croisette avec un film plutôt intime pour lui. Le film était précédé d’une réputation, celle de correspondre dans ses intentions à ce qu’ont pu faire récemment Paul Thomas Anderson, Alfonso Cuaron, ou Kenneth Brannagh – respectivement avec Licorice Pizza, Roma, ou Belfast), ou avant eux les frères Coen (A serious man): un film « retour aux sources », qui ausculte le terrain familial pour mieux en faire ressortir les composantes qui mèneront à la trajectoire de l’auteur, héros malgré lui d’un spectacle qu’il gardera secrètement en lui, et guidera sa motivation « To Make It ». Quelque part, une forme de préquel à l’American Dream, éprouvé puis raconté. Gray s’en sort honorablement, à nos yeux bien mieux que Cuaron faussement larmoyant, ou que Brannagh trop attaché à une peinture d’ensemble assez datée, manquant de relief, et en ceci, son travail se rapproche davantage de celui d’Anderson ou des Coen, marqué par la sincérité et un travail contre leur propre pudeur.
Avec Armageddon Time, il trouve une justesse dans le regard de ce jeune acteur, retenu pour interprété Paul Graff, acronyme de James Gray. A ses côtés, Anne Hathaway endosse avec tout autant de réalisme le costume de la mère dévouée, et mal traitée, quand Anthony Hopkins délaisse sa face sombre et terrifiante pour nous donner à voir un grand père ciment de toute une famille, hyper protecteur, tendre, sensible et à l’écoute. Sans l’excellence de ces différentes interprétations, Gray nous aurait probablement resservi un récit artificiel, faussement sensationnel.
Puisant dans son passé, avec tout à la fois un certain courage (à se regarder dans la glace), mais aussi à s’attaquer frontalement à la figure du père (violent, peu intéressant, manquant de finesse et de charisme) ou à la pensée dominante dans les milieux aisés New Yorkais, le snobisme, la discipline et le conservatisme, le racisme, notamment au sein des écoles privées à New York – ou se mèlent enfants juifs, fortunés – les Trump cités entre autres, destinés à former l’élite économique de la nation-, mais aussi une certaine lâcheté (la critique, acerbe comme elle pouvait l’être dans les meilleurs James Gray – ces premiers films) n’offrant guère de nuances, ou de points de vue 360°. Gray ne pêche pas non plus ici dans le faussement émouvant, il utilise la musique avec une certaine retenue, pour mieux se recentrer sur son personnage principal, le jeune Paul Graff, touchant dans son attitude, à la fragilité apparente. Nous ne l’avions pas cité jusqu’alors, mais l’une des références auxquels nous nous devons de rattacher Armageddon Time est à rechercher dans le plus grand classique de la Nouvelle Vague française, pour ne pas dire l’un de ses films fondateurs, Les 400 Coups.
Des 400 coups, à la James Gray, ou à la Paul Graff, c’est selon, en plus américain, en plus New Yorkais, mais la matière psychologique propre aux identifications du spectateur (et à son émotion) partage bien des points communs avec le chef d’œuvre de Truffaut. L’artiste se construit dans la difficulté, dans la rébellion par rapport à celle-ci, par acte sensible, et les artistes – peut être ceux qui réussissent, mais probablement aussi ceux qui échouent – suivent leur chemin, avec détermination, parfois errement, se construisent par l’exemple et l’erreur. Une jolie leçon de vie que James Gray cherche à nous transmettre aujourd’hui.