Une étrange épidémie frappe la Grèce: hommes ou femmes, ils, ou elles, sont soudain frappés d’amnésie. Si aucun proche ne vient les réclamer et qu’aucun autre indice n’aide à retrouver leur identité, les «malades» se voient proposer un programme spécial qui leur permettrait de se construire une nouvelle personnalité.
Après un premier court-métrage KM projeté dans de nombreux festivals internationaux, Apples constitue le premier long métrage du réalisateur Christos Nikou. Film aux couleurs pastel et à la photographie impeccable, un montage abrupt mais bien maîtrisé, des plans innovants, Apples impressionne par sa technicité.
Difficile de ne pas comparer ce premier film aux productions de Yorgos Lanthimos. Et pour cause, Christos Nikou a travaillé entre autres sur le tournage de Canine dont on sent toute l’inspiration -l’inspiration de The Lobster et de la quête amoureuse du personnage principal est également tout aussi prégnante-. Ces deux réalisateurs peuvent être catégorisés comme des figures de la nouvelle vague grecque postérieure à la crise économique de 2008. Derrière la façade d’une société stable se trouve l’absurdité d’un monde dont les codes peuvent basculer du jour au lendemain. Conjugué à cette absurdité -où peut-être en est-ce la conséquence ?-, la montée de l’individualisme provoque également une terreur existentielle qui ne peut être comblée que par une quête de sens nouvelle… souvent tout aussi absurde que les codes ayant été délaissés. C’est ce message commun que portent tous deux Lanthimos et Nikou dans leurs réalisations.
Apples de Christos Nikou diffère cependant des films de Lanthimos par la poésie qu’il contient. Moins cynique, le regard porté par la caméra sur le personnage amnésique remarquablement interprété par Aris Servetalis invite à la compassion et aux rires.
Le film semble comme anti-daté. Les objets connectés de notre quotidien ne sont pas présents et cette absence de téléphone portable ou de nouvelles technologies est remplacé par l’envoi de cassettes audio et l’usage de Polaroïds. Pourtant, tous les codes du monde moderne sont là : le polaroïd comme objet de selfies loufoques et de mises en scènes à outrance, les albums photos comme feed que l’on consigne et partage. Les souvenirs créés par les « malades » qui n’ont pas été recherchés sont tous identiques et en repartant à zéro, c’est une société encore plus uniformisée que les autorités sanitaires essayent de modeler.
Quant au nom du long-métrage, certains y voient un lien explicite à la firme californienne. Si cette vision mérite d’être nuancée -voire contredite-, le film peut néanmoins être interprété comme une critique de l’ultra-connexion, de la recherche de l’apparence dans un monde commun qui se délie. L’individualisme poussé à l’extrême a mené à des amnésies en cascade où certains proches ne prennent même plus la peine de retrouver les leurs. Se pose alors la question : amnésie simulée pour pouvoir prétendre à une autre vie, ou maux réels ? La réponse importera finalement peu, c’est le diagnostic d’une société malade qui compte réellement.