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All we imagine as light – Sous les lumières de Mumbay

Infirmière à Mumbai, Prabha voit son quotidien bouleversé lorsqu’elle reçoit un cadeau de la part de son mari qu’elle n’a pas vu depuis des années. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, cherche en vain un endroit dans la ville pour partager un peu d’intimité avec son fiancé. A l’occasion d’un séjour dans une station balnéaire, pourront-elles enfin laisser leurs désirs s’exprimer ?

All we Imagine As Light de Payal Kapadia a marqué notre rétine à Cannes, et nous annoncions avec certitude, sans prendre de grands risques, que le film se retrouverait au palmarès, tant il se révèle généreux – au sens premier, celui du plaisir de parler des autres, de partager un sentiment commun et non dans celui trop souvent détourné, qui retranscrit la satisfaction de vouloir en mettre plein la vue :-).

Particulièrement doux, et embrassant un regard sur les femmes de Mumbai, et sa baie, l’univers singulièrement féminin de la jeune réalisatrice démarquait dans une compétition dans son ensemble manquant d’oeuvres singulières ou de gestes artistiques prononcés – Le palmarès reflète d’ailleurs ces carences (Nous apprécions de longue date le travail de Sean Baker, mais Anora nous a fortement déçu …).

Très poétiquement, la réalisatrice Payal Kapadia, remarquée pour ses précédents films documentaires expérimentaux, évoque des sujets pourtant douloureux, si propres à la condition des femmes en Inde: la liberté qui leur est refusée, leur place dans la société, le comportement des hommes en leur endroit, les mariages forcés, l’impossibilité d’aller contre la tradition ou la religion. Le film opte cependant, de tout son long, pour le clair obscur, au sens propre comme au figuré. L’ancestralité de la société hautement patriarcale, ici dénoncée, se voit contrebalancer par des scènes de métro, des sorties entre femmes qui vont au cinéma ensemble, des textos amoureux, pour nous montrer que les femmes en Inde, aujourd’hui, appartiennent à un monde globalisée, sont femmes avant tout, et non des sujets – encore moins des objets – d’étude, que l’on devrait regarder avec distance, et considérer comme des exceptions. Non, ce que Kapadia vise relève bien davantage de l’universalité, quitte à perturber en ne choisissant pas une forme rebelle, électrique, mais au contraire, une douceur de tous les plans, qui épouse la lutte que les héroïnes mènent au quotidien. Kapadia ne nous donne pas à voir que les seules lumières de la baie de Mumbai, mondialement réputée et au magentisme millénaire, la lumière s’invite aussi, par reflet, dans les pupilles de ces jeunes femmes pleines de vie, et qui conservent l’espoir d’un changement, d’une révolution apaisée. Leur lutte s’entend dans leur conversation, et pourrait paraître comme une acceptation, dont on pourrait légitiment douter de l’efficacité militante, mais précisément All we imagine as light nous montre une résistance de tous les instants, une vision résolument optimiste qui passe par l’entraide, l’union, la dénonciation douce et courageuse, bien plus à même de faire infléchir et réfléchir les hommes dominants et archaïques, qui culturellement entretiennent des schémas insuffisamment remis en question. Aucune rage ici donc pour mener la lutte, juste un état d’esprit mis en avant, une beauté intérieure. Etonnamment, Kapadia nous propose à l’endroit de Mumbai, au féminin, un geste assez semblable à celui de Sorrentino, envers Naples: une déclaration d’amour-haine, d’attraction-répulsion.

La poésie d’All we imagine as light nous parvient si distinctement, passée la mise en place – quand celle du Grand Tour de Gomez nous fut moins immédiate,- en grande partie du fait du mode de narration, très particulier, basée sur ce qui s’échange, se dit entre les protagonistes, ces confidences qu’elles se livrent les unes aux autres.

Cette structure nous rappelle les entreprises menées par le passé par exemple dans quelques films de Jarmush ou de Wayne Wang/Paul Auster. Elle permet de rendre compte, au final tout aussi efficacement qu’un pamphlet, qui aurait choisi de heurter pour nous interroger (ce qui manquait aussi en sélection à Cannes cette année), du chemin qu’il reste à parcourir, des combats qui sont à mener, et de ce qu’il est autorisé de faire en attendant que les choses changent, le peu d’armes qu’ont les victimes, ce qui reste possible face à l’inexorable: la bienveillance, l’entraide, mais aussi et surtout, se bercer d’illusions, rêver, pour nourrir une vie intérieure plus belle que ne l’est la réalité.

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