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A Complete Unknown (Un parfait inconnu) : le biopic audacieux qui révèle l’essence de Bob Dylan

© The Walt Disney Company France

Vingt-ans après un biopic musical consacré à Johnny Cash (Walk the Line) – primé notamment d’un Oscar et d’un Golden Globes – le réalisateur américain James Mangold s’essaye de nouveau à l’exercice avec un long-métrage dédié, cette fois-ci, à Bob Dylan, qu’il baptise A complete unknown. Au delà d’être un titre de film, il s’agit surtout des paroles de la chanson Like a rolling Stone, interprétée par l’artiste en 1965 et extraite de son album mythique Highway 61 Revisited

Évocateur, ce choix est loin d’être le fruit du hasard puisque la chanson en question, enregistrée en seulement deux jours, achève la transformation artistique de Bob Dylan. En 1965, celui-ci délaisse en effet le folk, qu’il pratiquait depuis ses débuts en 1961, pour le rock. Un morceau significatif pour le chanteur du Minnesota qui déclarait d’ailleurs à ce sujet dans le magazine Playboy : « C’est usant d’entendre d’autres personnes vous dire qui vous êtes alors que dans le même temps, vous êtes incapable de faire de même, de savoir qui vous êtes vraiment ». 

© The Walt Disney Company France

Par ailleurs, en 1961, Bob Dylan a débuté sa carrière en débarquant à New-York, sans un sou, une guitare à la main, tel A complete unknown, en français Un parfait inconnu.

Dès lors, les intentions du réalisateur semblent limpides : il souhaite se concentrer sur la première partie de la carrière du chanteur de ses débuts, en tant que parfait inconnu jouant de la folk, à son basculement vers une star du rock. Ainsi, en se focalisant sur seulement quatre années, le cinéaste ne tombe pas dans l’écueil de certains biopics qui tentent de balayer l’ensemble de la vie d’une personnalité en deux heures. 

Sur ce point, le film apparaît donc comme une véritable réussite et permet à James Mangold d’explorer la complexité du personnage sans s’attarder sur quelques détails de son passé ou futur inutiles. En outre, cela permet à Timothée Chalamet d’incarner Bob Dylan, plus encore que de l’interpréter. La différence peut sembler subtile, pourtant, le jeune acteur de 29 ans – que l’on voit, non sans plaisir, s’épanouir dans des genres cinématographiques bien différents – disparaît dès les premières minutes à l’écran pour laisser la place au chanteur.

Notons qu’au delà des traits purement physiques – mâchoire carrée et corpulence émaciée – Timothée Chalamet a presque tout de Bob Dylan : l’allure renfermée, le regard à la fois fuyant et profond, le caractère nonchalant et perfectionniste, le phrasé piquant, le désir brûlant de liberté, le côté insaisissable et mystérieux… 

© The Walt Disney Company France

Cette personnalité complexe se révèle au travers de dialogues travaillés mais aussi de la mise en image minutieuse du processus créatif propre à Bob Dylan : la caméra le capte à plusieurs reprises en train d’écrire des morceaux, composer des mélodies, s’exercer et, surtout, chanter. Or, un autre écueil du biopic musical consiste souvent à ne pas montrer l’artiste au travail et à omettre certaines de ses chansons relayées simplement en toile de fond. 

A contrario, ici, la musique se fait omniprésente à l’instar de la place centrale qu’elle occupe dans la vie de Bob Dylan. Chose rare : Timothée Chalamet interprète les chansons, sans que cela ne soit ridicule. Par ailleurs, James Mangold a choisi de montrer l’ensemble de la discographie du chanteur sans se cantonner à ses titres les plus connus. 

Au delà de la seule performance de Timothée Chalamet, remarquable, celle du reste de la distribution ne dépareille nullement. Autour de Dylan gravitent notamment Suze Rotolo – rebaptisée Sylvie Russo – (Elle Fanning) et Joan Baez (Monica Barbaro), avec qui il a entretenu des relations très différentes. Interprétées avec retenue et justesse, ces deux figures féminines symbolisent la tension entre amour et liberté qui s’oppose en permanence chez Bob Dylan.

© The Walt Disney Company France

A leurs côtés nous retrouvons également Edward Norton qui prête ses traits au chanteur folk Pete Seeger et Boyd Holbrook en Johnny Cash : pour James Mangold, la boucle est bouclée. La puissance de ces personnages réside dans l’intelligence du scénario : ils enrichissent l’intrigue et le récit, sans jamais éclipser Bob Dylan lui-même. James Mangold et Jay Cooks, le co-scénariste, l’ont bien compris : les relations de l’artiste sont essentielles pour réellement le cerner et le comprendre. 

A défaut de répondre à la question « Qui est Bob Dylan ? » comme pourrait le faire une fiche Wikipédia, A complete unknown se concentre sur sa transformation interne et artistique sur une période courte. Le morceau, Like a Rolling Stone permet à Bob Dylan de s’affranchir de son public, de ses proches, de son agent… Une image forte qui dénonce l’industrie musicale, souvent représentée comme une machine machiavélique broyant les vedettes, à l’image du personnage de Winslow dans Phantom of the Paradise de Brian de Palma qui se retrouve dépossédé de sa musique et de sa voix.

A l’encontre de ce système, Bob Dylan, lui, conservera toujours une sincérité désarmante et un désir profond de faire ce dont il a envie. Une scène plus particulièrement incarne ce phénomène lorsque, à l’occasion du Newport Folk Festival auquel il participe chaque année, Dylan troque sa guitare sèche contre une guitare électrique et l’accompagnement par des musiciens, suscitant l’immense colère et déception de ses fans qui l’accablent. Pour leur signifier sa liberté, il continuera de jouer en leur assénant une critique assassine : « You are unbelievable » (« Vous n’êtes pas croyables »). Bob Dylan sera libre ou ne sera pas. 

© The Walt Disney Company France

Néanmoins, certains plans apparaissent comme relativement classiques et récurrents à l’image du travelling dévoilant petit à petit le bureau du chanteur rempli de bouteilles de bières vides, de nouveaux morceaux griffonnés au crayon à papier et de tracts militants. 

Mais le principal défaut du film réside surtout dans sa composition : la photo extrêmement léchée et les décors et costumes soignés nous plongent davantage au cœur d’un studio hollywoodien que dans les rues de New-York ou sur les routes de Californie. Il se crée un désagréable contraste entre l’aspect esthétique lisse du cadre et la complexité des personnages qui s’y développent. 

Nommé dans huit catégories aux Oscars 2025 – dont celles du meilleur réalisateur et acteur – le film dépasse le simple hommage pour questionner notre besoin de figer les artistes dans des cases. La véritable grandeur ne résiderait elle pas dans l’inconnu (the unknown), dans cette part d’ombre qui nous échappe toujours ? Une réflexion qui pousse le spectateur à interroger sa propre vision de l’art et du mystère.

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