The father, premier film réalisé par Florian Zeller, est précédé d’une belle réputation. Selon le recensement effectué sur le site IMDb, ce film a obtenu 133 nominations dont 26 ont abouti à des récompenses. Parmi les prix obtenus, on retient plus particulièrement l’oscar du meilleur acteur dans un premier rôle pour Anthony Hopkins et celui de la meilleure adaptation octroyé au réalisateur et à son coscénariste Christopher Hampton. Ces deux oscars sont le reflet exact des deux BAFTA Awards obtenus deux semaines plus tôt. Le parcours de ce long-métrage parmi les festivals et autres cérémonies de remises de prix que compte le 7ème art est pléthorique. Il est d’autant plus impressionnant qu’il vient célébrer la première réalisation pour le cinéma d’un homme de théâtre. Et, comme il n’y a jamais de fumée sans feu, il nous est peut-être donné à voir à travers The father la naissance d’un cinéaste à l’avenir prometteur.
The father raconte la trajectoire intérieure d’un homme de 81 ans, Anthony, dont la réalité se brise peu à peu sous nos yeux. Mais c’est aussi l’histoire d’Anne, sa fille, qui tente de l’accompagner dans un labyrinthe de questions sans réponses.
Pour cette première réalisation dédiée au grand écran, Florian Zeller a choisi d’adapter la pièce de théâtre éponyme dont il est l’auteur. Il s’est adjoint les services du scénariste Christopher Hampton pour porter à l’écran ses propres écrits. Le néo-réalisateur ne s’aventure donc pas seul sur un terrain qui ne lui est pas totalement inconnu. Les spectateurs peuvent légitimement attendre de cette adaptation la restitution d’une trame narrative maîtrisée. C’est malheureusement sur ce plan que nous porterons plus loin dans cet article notre principal grief.
Portons d’abord au crédit du néo-réalisateur le fait d’avoir évité un défaut souvent constaté dans les premières réalisations cinématographiques : le trop plein narratif et/ou technique. Une caractéristique qui relègue nombre de premiers films au rang de films démonstratifs d’un savoir-faire. Dans The father, Zeller use d’une mise en scène propre mais sans éclat, académique, formatée. Le film ne recèle aucun choix fort de mise en scène ou de réalisation. Il est ainsi vierge de toute empreinte qui permettrait d’identifier la patte d’un auteur en devenir, celle d’un cinéaste dont il nous tarderait d’avoir à analyser les futures réalisations.
Le titre du film pousse le spectateur à porter son attention sur le personnage-titre incarné par Anthony Hopkins. L’indication, si elle n’est pas fausse n’en demeure pas moins tronquée et piégeuse. Certes l’octogénaire est le personnage central mais le récit proposé porte un double regard. Il y a donc celui prépondérant du père mais aussi celui de sa fille interprétée par Olivia Colman. Certes le synopsis ne fait pas mystère de ce double point de vue mais l’auteur-réalisateur aurait gagné en efficacité narrative en empruntant l’unique regard du personnage-titre. En effet, le double point de vue porté est problématique car The father est vierge de tout marqueur permettant d’identifier sans ambages quel regard est relaté par la séquence en cours de visionnement. Pour le spectateur, l’impression de confusion est palpable à chaque instant. Mais peut-être était-ce là la finalité ambitionnée ? Ce film serait alors une sorte d’effet miroir vis-à-vis de la confusion du personnage principal. Si telle était l’ambition de Zeller, le contrat est rempli dans de très larges mesures.
La confusion qui habite le film naît aussi de l’enchaînement des séquences qui le composent. Le réalisateur fait se succéder à l’écran des scènes tantôt tirées de la réalité, tantôt relatant des souvenirs inventés (par un esprit atteint de la maladie d’Alzheimer !), tantôt de démence pour alourdir un récit déjà sans finesse. Sachant que rien ne distingue ces différentes catégories de séquences, le spectateur est bien en peine pour distinguer le vrai du faux. Comme le réalisateur multiplie les tromperies de faits et de lieux via la désorganisation et/ou l’absence de repères chronologiques, relationnels et identitaires, le faux prime amplement sur le vrai. The father s’érige en modèle de… porte-à-faux.
Sans surprise, l’enchaînement incohérent et maladroit de scènes répétitives et contradictoires ne forme aucun fil narratif. On peine même à distinguer dans cette grande confusion un ersatz de narration. Quid par exemple de la progression d’une maladie d’Alzheimer qui ne sera jamais nommée ? L’épilogue finit enfin par arriver et par surprise car l’absence de progressivité dans la narration rend son approche insoupçonnable à moins de jeter un œil sur le cadran de sa montre. Survenue donc par surprise d’un épilogue sans surprise tant celui-ci est prévisible. La surprise réside en fait dans la composition de deux épilogues tire-larmes, chacun rivalisant avec l’autre dans la catégorie charge émotionnelle lourdement appuyée.
Enfin, The father se trouve aussi alourdi par la multiplication des personnages dont l’absence ou la présence trouverait explication si une réponse était apportée aux questions de l’octogénaire. Mais les réponses attendues sont systématiquement éludées. Là encore, le procédé est contestable. La pertinence des questions posées laisse en effet peu de doute sur la capacité de l’octogénaire à comprendre les réponses qui auraient dû lui être fournies. Qu’est-ce qui justifie que ces réponses ne soient pas formulées ? Mystère.
De nombreux critiques voient et verront dans le procédé mis en œuvre une narration habile (à grand renfort d’informations « distillées »… rares), voire maline. Elle n’est ni l’un ni l’autre. A nos yeux, Zeller construit une narration assurément piégeuse et probablement malhonnête. Le « labyrinthe de questions sans réponses » avancé par le synopsis ne trouve aucune justification. Il relève d’une facilité d’écriture scénaristique dont les deux coscénaristes usent et abusent. Nous devons ici alerter nos lecteurs face au risque de se sentir pris en otage par le canevas narratif mis en œuvre. Pour notre part, nous restons sur nos questions, également sans réponses, relatives à la finalité de ce film. Au final, notre verdict sur The father est bien éloigné des nombreuses louanges portées à cette première réalisation. L’adaptation au grand écran de la pièce éponyme paraît trop confuse et insuffisamment narrative. Des récompenses obtenues et citées en préambule de cet article, nous retiendrons plus volontiers celles venues saluer l’interprétation remarquable de Hopkins au détriment de celles venues vanter la qualité d’adaptation. The father vient démontrer que l’adaptation au cinéma d’une pièce de théâtre n’est pas un exercice facile. En 2015, Philippe Le Guay proposait une première adaptation de la pièce de théâtre The father et employait Jean Rochefort pour incarner le personnage-titre. L’acteur français y signait son ultime rôle. Bien que non exempt de défauts, le film réalisé et titré Floride bénéficie d’une meilleure justesse de propos et d’une narration plus délicate, plus progressive et moins tire-larmes que celle qui anime The father, premier film réalisé par Zeller.