L’Adamant, un centre d’accueil de jour flottant unique en son genre, situé sur la Seine au cœur de Paris, accueille des adultes atteints de troubles mentaux. Ce film nous invite à monter à bord et à rencontrer les patients et les soignants qui inventent une façon d’être ensemble.
Sur L’Adamant est reparti, à notre grande surprise et désarroi, de la Berlinale avec la plus belle des récompenses, l’Ours d’Or … Nous nous demandons encore quelle mouche tsé tsé a pu piquer le Jury de Kristen Stewart pour aboutir à ce palmarès…
Objet d’une commande assurément, le documentaire souffre d’un regard qui ne s’intéresse qu’à la seule cause qui lui semble la bonne mais passe totalement à côté de toutes les nuances, de toutes les questions importantes que le sujet corrobore. Exercice de bien-pensance d’un côté, de bonne conscience de l’autre, la conférence de presse a confirmé que Nicolas Philibert parle d’une thématique sur lequel il jette un regard vaguement curieux, qu’il ne connait pas et dont il ne capte pas un pour cent de tout ce qui aurait mérité d’être interrogé. Le seul angle de la publicité pour la psychiatrie et l’action de ceux qui y travaillent est considéré, manipulant les personnes, souffrantes d’une certaine façon, pour que le message puisse être porté: la psychiatrie manque de moyens, les psychiatres font un métier difficile, ils ont besoin qu’on les aide et reconnaisse leur belle action, « humanitaire! » …
Qu’il aurait, au contraire, été intéressant de questionner la normalité, d’une part, d’interroger l’impuissance, l’échec, et les dégâts parfois causés par la psychiatrie, qu’il aurait été pertinent de montrer non pas en quoi les personnes souffrant de troubles psychiatriques (« ces gens là » pour reprendre l’expression maintes fois répétées en conférence de presse avec une condescendance et une distance tout aussi dérangeante que celle que le film transmet) sont différentes et impossibles à intégrer dans la société mais, au contraire, en quoi ces personnes sont, avant toute chose, victimes d’un système qui les enferme, les pointe du doigt, les infantilise et, surtout, ne prévoit aucune place pour eux dans la société active, parce qu’ils ont failli, peuvent faillir, ou tout simplement parce qu’ils pensent différemment, en décalage avec la rationalité établie, essaimée de vérités et bien plus encore d’interdits. Qu’il aurait été intéressant de montrer les effets secondaires dévastateurs de certains traitements, que ce soit leurs effets addictifs, leurs effets sur la psyché comme le ralentissement intellectuel, mais aussi leurs effets sur l’image d’une personne, du regard qui perd en lucidité aux prises de poids intempestives. Certes, il ne s’agirait pas de tomber dans le travers inverse, de faire passer un message d’impuissance et d’inutilité de la psychiatrie, mais établir un équilibre, porter un regard juste qui interroge plus qu’il ne loue eut été tellement plus remarquable …
Reconnaissons, quand même, que, par instant, par éclair, la question fusse légèrement posée, notamment en montrant les talents artistiques de certaines personnes invitées à témoigner de leur maladie, de ce qui leur traverse l’esprit … Ainsi d’une de ces victimes de la société, de sa maladie et des manquements de la psychiatrie, qui n’est pas sans nous rappeler Michel Houellebecq par ses intonations et sourires en coin, qui s’avère attachante, car cultivée et intellectuelle. Ainsi aussi de ce saisissant instant de vérité (et de sa réponse manquant d’humanité et d’empathie) où une patiente pose ouvertement la question: puisque le principe sur l’Adamant serait prétendument d’aider les patients à se réinsérer, où à vivre décemment, pourquoi ne l’autorise-t-on pas y à donner des cours de danse alors que ce fut son travail et qu’elle en a toutes les compétences, probablement plus que les infirmiers à qui revient cette tâche ? Voilà une belle et puissante question, frappante de vérité et qui ramène à l’évidence: oui, il y a là une indéniable inégalité, dérangeante, une injustice, un biais inacceptable. Les infirmiers traitants ne savent y répondre qu’en acquiesçant qu’ils ont peur que cela ne se passe pas bien, avouant ainsi à demi-mot que leurs intentions d’aider les patients ne peut aller jusqu’à les aider réellement en les considérant comme leur égaux. Dérangeant donc de voir que ce passage, retenu au montage probablement au contraire de bien d’autres déclarations qui auraient jeter l’opprobre sur les bien-fondés de la mise à l’écart, de la doctrine médicamenteuse – et son caractère très aléatoire, à l’origine de nombreux scandales, comme ces médicaments qui pour lutter contre la schizophrénie peuvent augmenter les pensées suicidaires et engendrer des passages à l’acte, scandales totalement tus dans le documentaire – au contraire du parti pris par exemple d’une Laura Poitras dans Toute la beauté et le sang versé, autrement plus critique, renseigné et avisé ! – soit si orphelin, si ouvert dans l’interprétation que l’on puisse en faire, – certains verront dans la réponse formulée non un mea culpa hypocrite et malsain mais une réponse bienveillante donnée à une grande malade agressive et jalouse …
Le regard néophyte, naïf, et aveuglé de bien-pensance que véhicule ce premier volet d’une trilogie annoncée- qui sait les second et troisième volets se risqueront peut être à esquisser quelques critiques constructives de ce qui est pratiqué au long cours dans ce centre de jour (et dans d’autres) ?- n’est pas le seul grief que l’on puisse lui adressé. Formellement, le documentaire s’avère d’une constante platitude. Il présente de nombreuses longueurs, multiplie les répétitions, qui au delà du questionnement trop partiale et incomplet, nous empêche de comprendre, si ce n’est le rachat de conscience bourgeois, ce pourquoi Sur l’Adamant fut retenu en compétition et a pu touché à ce point le Jury de Kristen Stewart … Le message ainsi renvoyé n’en est que plus dérangeant, non seulement Sur l’Adamant promeut la cause « psychiatrique »(fut-elle de concert avec l’action psychologique) comme il cautionne la mise au rebut de la société des personnes qui connaissent un trouble psychologique -même temporaire et consécutif à un traumatisme – mais cette vision a ému le jury, un peu comme un enfant serait ému devant un lion affamé et triste dans une cage de cirque, avant qu’on ne lui révèle la maltraitance dont le lion en question fait l’objet. Alors, oui, nous pouvons toujours donner aux singes en cages des cacahuètes et s’émerveiller tout à la fois du spectacle qu’ils nous offrent, en les ingurgitant avec plaisir, et de notre « grande » générosité, oui nous pourrions louer que sur l’Adamant soit offert du café à des personnes fauchées, seules, dans un « grand! » élan de solidarité et un joli geste collectif, mais ne saurait-on se poser les questions du pourquoi et du comment la société les a précisément mis dans cette situation et les y confine ?