Gabrielle a grandi dans la petite bourgeoisie agricole où son rêve d’une passion absolue fait scandale. A une époque où l’on destine d’abord les femmes au mariage, elle dérange, on la croit folle. Ses parents la donnent à José, un ouvrier saisonnier, chargé de faire d’elle une femme respectable. Gabrielle dit ne pas l’aimer, se voit enterrée vivante.
Lorsqu’on l’envoie en cure thermale pour soigner ses calculs rénaux, son mal de pierres, un lieutenant blessé dans la guerre d’Indochine, André Sauvage, fait renaître en elle cette urgence d’aimer. Ils fuiront ensemble, elle se le jure, et il semble répondre à son désir. Cette fois on ne lui prendra pas ce qu’elle nomme « la chose principale ». Gabrielle veut aller au bout de son rêve.
Tout était là : un roman de Milena Agus à la trame passionnée et fiévreuse, avec un twist des plus surprenants, des acteurs intéressants (Cotillard of course, qui a les défauts de ses qualités, mais aussi le magnétique Louis Garrel et la découverte du film : Alex Brendemül), une réalisatrice estimée… et pourtant rien.
Lors de la conférence de presse du film à Cannes (il était en compétition officielle), Adèle H. de Truffaut fut évoqué -et un peu balayé du revers de la main par la réalisatrice Nicole Garcia. Or il ne serait pas inopportun de faire la comparaison afin de souligner pourquoi le film ne fonctionne pas et nous laisse aussi froids que les pierres du titre.
Prenons tout d’abord l’actrice en charge de porter le film. Marion Cotillard incarne Gabrielle jeune fille (20 ans) puis femme (40 ans et quelque). Ce n’est pas tout à fait irréaliste, tant l’actrice de 40 ans est lisse en tout point, et assez épargnée par le temps. On lui avait trouvé le même aspect dans l’avant dernier Dardenne. Cotillard n’est pas la meilleure actrice pour donner corps à une passionnée viscérale et sensuelle. Il est des actrices qui excellent dans un certain registre et Isabelle Adjani (Adèle H. donc) est spécialiste du genre, capable de donner à des films communs un cachet tout particulier (que serait l’Eté Meurtrier ou Camille Claudel sans elle ?) ; quant aux archétypaux rôles de folles/passionnées/jusqu’au-boutiste à vous en violenter le cœur il suffit de repenser à L’Histoire d’Adèle H., donc, mais aussi Possession, La Reine Margot, Adolphe. Mal de pierre avait besoin d’une Adjani pour porter son rôle qui aurait été comme un gant à Isabelle A. Or, làs ! une Adjani il n’y en a qu’une. Le rôle de Gabrielle, en plus de ce côté passionné, fou et viscéral, requierait une sensualité débordante. Adjani, ce génie, avait su le faire, et très crédiblement, alors que ce n’était pas son registre, dans l’Ete Meurtrier. Une Béart (nous pensons notamment à l’Enfer de Chabrol), une Bardot (forcément !), voire une Ludivine Sagnier (Swimming pool d’Ozon) auraient relevé le gant avec panache. Avant qu’elle ne soit oscarisée, glamourisée, stéréotypée, lissée et amaigrie, Cotillard elle-même avait su jouer cette carte -dans les Jolies Choses. Mais ici, présentement, elle ne sied pas au rôle et le rôle ne lui sied pas. Elle l’exécute correctement, mais ne nous renvoie aucune fièvre dans le sang, aucune folie, aucune passion. On reste en surface.
Tout, d’ailleurs, dans ce film, semble rester en surface : la mise en scène plate sans particularité, la photographie (pâle, pastel, fade), la narration « qualité française », la musique. Trop académique, trop télévisuel, sans jamais parvenir à nous toucher. Le retournement complet de situation à l’issue du film ne nous touche pas. Nous n’allons évidemment pas le dévoiler. Mais le fait qu’on ne s’attache ni aux liens qu’entretient Gabriel et son mari (le pourtant très charismatique Alex Brendemül) et que nous soyons déçus de l’embryon de Passion Romanesque entre André Sauvage (Louis Garrel) et Gabrielle nous laisse indifférents voire dépités face à ce film et cette fin dont les intentions étaient de nous toucher au plus profond du cœur.