Une décennie, c’est l’espace-temps séparant le premier et dernier (en date) long-métrage de fiction de Justine Triet. Si Anatomie d’une chute (2023) a valu à sa réalisatrice la Palme d’Or du présent millésime, dix ans plus tôt, La bataille de Solférino (2013) révélait au grand public une jeune réalisatrice alors âgée de 35 ans. La récente sortie en salle le 23 août dernier de la Palme d’Or cannoise 2023 se voit donc prolongée par la ressortie au cinéma en version remasterisée d’un premier film de fiction aventureux à défaut d’être pleinement réussi.
6 mai 2012, Solférino. Laetitia, journaliste télé, couvre les présidentielles. Mais débarque Vincent, l’ex, pour voir leurs filles. Gamines déchaînées, baby-sitter submergé, amant vaguement incrust, avocat misanthrope, France coupée en deux : c’est dimanche, tout s’emmêle, rien ne va plus !
Déjà en 2009, Justine Triet dans son documentaire Solférino avait pris pour cadre les deux tours de l’élection présidentielle française de 2007. Entre journalistes affairés et militants mobilisés, la documentariste cherchait à rendre compte, en instantané et in situ, d’une suite d’évènements chaotiques balançant entre attentes, espoirs et déceptions. L’ensemble jalonnait une feuille de route attendue et tracée d’avance.
Un quinquennat plus tard, dans La bataille de Solférino, la réalisatrice investit le second tour de l’élection présidentielle de 2012. Mais ici, en guise de trame politique, le spectateur devra se contenter d’une apparition de quelques secondes de Jack Lang et une « interview manquée » (par quelques astuces de montage) de Ségolène Royale. En d’autres termes, la partie documentaire politique du film apporte peu. La couverture journalistique des présidentielles espérée remporte au final peu de suffrages. Le cinéma-vérité ambitionné se range en définitive dans le camp d’une majorité, celle des abstentionnistes.
L’autre versant du film, fictionnel celui-ci, concerne le récit des déboires amoureux de son couple central formé par Laetitia Dosch et Vincent Macaigne, respectivement journaliste peu crédible et trentenaire « perdu »… déjà et encore. Le récit intimiste bat pavé, impudiquement, au milieu de la foule entre clameurs (vraies), pleurs et caprices (malheureusement vrais aussi) et disputes hargneuses (fausses).
Problème, Triet engage cette part de Bataille de Solférino sans réel plan de bataille (i.e. scénario). Les petits soldats, livrés à eux-mêmes, sont envoyés sur le terrain. Leur abnégation ne fait certes jamais défaut mais porte peu car elle se dilue dans une trop grande liberté d’action. Le soutien d’une direction d’acteurs en bonne et due forme aurait été appréciable. Mais cet appui n’arrivera jamais, la direction artistique reste campée au niveau des lignes-arrières.
Que reste-t-il à nos valeureux combattants pour tenter de faire bonne figure dans ce bourbier ? L’improvisation dans le jeu, unique échappatoire, fait mouche par intermittence. C’est un procédé aventureux, risqué et, s’il est manipulé avec précision, redoutable. En son temps, John Cassavetes en fit une arme collective aux mains d’un groupe d’acteurs-amis dont les membres partageaient de nombreuses affinités. Chez Triet, cette arme est individualisée et s’enraye quasi aussi souvent qu’elle est utilisée. Dans La bataille de Solférino, l’improvisation des acteurs se révèle contreproductive et détruit le peu de matière cinématographique que renferme le film. Et là encore, les astuces grossières de montage ne camouflent en rien la vacuité de l’ensemble.
La bataille de Solférino sombre dans une déroute ample pour finalement tourner à la bérézina. Ainsi, à force de dérisions, le film s’abime, vire au futile et finit dans le dérisoire. En 2013, nous avions alors espéré que cette bataille perdue mette un terme définitif à une guerre vaine, celle du cinéma français autoproclamé néo-auteuriste mais surtout pseudo-intello et nombriliste. Peine perdue. Rendons cependant grâce à la réalisatrice d’avoir parfaitement su résumer son film dans l’une des répliques entendues dans celui-ci : « Une heure et demie pour ça ! »