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Frankenstein de Guillermo del Toro

Un film de Guillermo del Toro

Avec: Oscar Isaac, Jacob Elordi, Mia Goth, Christoph Waltz, Felix Kammerer, David Bradley, Lars Mikkelsen, Christian Convery, Charles Dance, Burn Gorman

Europe de l’Est,19e siècle. Le Docteur Pretorious part à la recherche de Frankenstein, que l’on croyait mort dans un incendie quarante ans auparavant. Son but est de poursuivre les expériences du créateur du monstre, le Docteur Frankenstein.

Lorsque nous nous adonnons au petit jeu des notations, si décriable par ailleurs, la plupart du temps, nous comptons les points que nous avons aimé dans un film, ceux que nous avons moins aimé, et tâchons d’en justifier notre note. Les points négatifs peuvent ne pas nous avoir dérouté plus que cela du film, les points positifs ne pas nous avoir émerveillés non plus, juste retenus notre attention. Parfois, des films nous apparaissent bons tout simplement, ou moins bons, sans qu’il n’y ait de particularités saillantes, nous jugeons alors un ensemble, de la mise en scène à la narration, de l’esthétique au jeu d’acteurs, en passant par des critères techniques ou des grilles émotionnelles. Un film comique qui nous aura fait rire, sera mieux noté qu’un film d’horreur qui ne nous a pas effrayé par exemple. Mais rares sont les films qui nous laissent une double impression, ambivalente, et contradictoire, celle d’un film en bien des points grandioses, et en bien d’autres totalement ratés. Frankenstein de Guillermo Del Toro (que nous ne portons pas spécialement dans nos cœurs, le rangeant volontiers dans les faiseurs) entre précisément dans cette catégorie. Il ne nous a pas, loin s’en faut, laissé insensible, et il entraîne notre plume comme il a pu faire travailler nos récepteurs neurologiques… En deux mots, affligeant et merveilleux tout à la fois ! Le lion d’or lui tend peut être les bras (mais à l’heure où l’on écrit ce texte, il nous semble déjà que le Testament d’Ann Lee le mériterait davantage), le succès sur Netflix et en salle ne fait absolument aucun doute. Nous sommes bien sur du gros œuvre, de la mécanique parfaitement exécutée, parfaitement pensée pour procurer des sensations (étonnamment peu dans le registre de l’horreur dans lequel le film s’inscrit pourtant) et si risible … de la Grande musique, comme dirait nos grands mères, celle dont on cherche à baisser le son de toute urgence, tant elle est insupportable à qui apprécie la petite musique de chambre… du grand art … littéraire qui plus est … dans ce Frankenstein redigéré dorment tous les monstres, ceux de Victor Hugo (le bossu de Notre Dame de Paris), Stoker (Dracula), King Kong, Terminator, Moby Dick, la bête de La belle et la bête, Steinbeck (Lenny dans Des souris et des hommes) évoqués plus ou moins directement, à l’instar de la souris sur l’épaule de Frankenstein, ou du bateau englouti … tous les mythes réunis en une seule créature, dépassant l’écriture de Mary Shelley, ou les précédentes adaptations cinématographiques de J. Searle Dawley, James Whale, Kenneth Brannagh mais qui peut se rapprocher des tentatives de cinéastes comme Jesus Franco ou Ishiro Honda qui les premiers s’étaient adonnés à ce genre de mashup… Del Toro sort donc le grand jeu, s’appuyant et structurant son récit sur une grammaire basique où chaque personnage joue sa partition, chaque groupe a sa raison d’être, prédéterminée, très pensée à l’écriture, dans un cadre rigide, celui d’une machine totalement contrôlée, qui échappe ceci dit foncièrement à son créateur qui se manque totalement dans l’essentiel: La raison d être, la raison du geste. Le cœur. Del Toro démiurge en avatar de Victor Frankenstein donc qui pousse ceci-dit, avec une manifeste réussite, la réflexion sur ce que le monstre reflète de l’homme à son extrême. La confrontation permanente entre laideur et beauté (jusque dans les décors et autres effets spéciaux), cruauté et bonté d’âme interroge une chose et une seule, l’Homme. Surpuissant, et manquant terriblement de finesse et de subtilité, à en devenir risible dans une seconde partie où la structure narrative s’inverse, Del Toro s’inscrit alors dans les pas de Kurosawa (Rashomon) (avant cela à Frankenstein ou le prométhée moderne, l’œuvre originelle de Mary Shelley qui propose ce récit dans le récit), cherchant après le récit d’effroi du Dr Victor Frankenstein à nous émouvoir avec celui plus sensible de la créature, qui a enduré de son maître créateur des souffrances que lui même avait enduré de son père (psychologie à deux francs).

Ce Frankenstein peut être plus encore que beaucoup de films nous ramène à ce grand débat sur la fonction même du cinéma, sur le geste d’auteur en contradiction avec le geste industriel ou l’écriture sérielle, à plusieurs.

Tout critique ou presque a vu son parcours cinéphilique prendre des détours. Bien souvent le cinéma divertissement a accompagné les premières envies de cinéma, dans le plus jeune âge. Du Retour du Jedi par exemple à la Maman et la Putain par exemple, il n’y a comme dénominateur commun que la fascination (presque religieuse) que l’un comme l’autre ont pu exercé à des âges différents. Plein d’étoiles dans les yeux, plein de réflexions en tête. De la recherche de sensation, du besoin d’être transposé dans un imaginaire au fait de rencontrer une œuvre en parfait miroir de sa conception du monde, de la vie, au besoin d’assouvir une curiosité insatiable, d’apprendre et de voyager intérieurement, voyage dont on ressort grandit, et non endormi.

Ici, avec Frankenstein, Del Toro et son équipe nourrissent nos cauchemars mais aussi, pour notre âme d’enfant, notre aspiration pour les contes de fée. Cauchemars interdits au moins de 12 ans , mais probablement, hélas, un conte interdit au plus de 16, pour son incohérence d’ensemble, la surenchère narrative sans limite ni filet, les exagérations sonores, les scènes d’actions et d’amour particulièrement ridicules, aussi prévisibles qu’inutiles ou sorties d’absolument de nul part.

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