Parmi les films vus cette année au TIFF, « The man who feels no pain« , de Vasan Bala, (qui a gagné ce week-end le prix du public dans la sélection Midnight Madness au TIFF) est un ovni cinématographique tout droit venu d’Inde.
Il est interessant de noter que Vasan Bala a travaillé longtemps comme scénariste et assistant réalisateur d’Anurag Kashyap, un des chefs de file du cinéma indépendant en Inde. Kashyap, producteur du génial « Lunchbox » ou réalisateur des excellents « Gangs of Wasseypur« , a toujours proposé des films qui dénotaient en Inde, s’affirmant comme un auteur très recommandable. Mais son dernier film, « Husband material« , projeté au TIFF (voir le cahier critique du Mag Cinéma) nous a extrêmement déçu tant qu’il était conformiste et à l’opposé de ce à quoi Kashyap nous avait habitué. Si Kashyap est rentré dans le rang, ce n’est pas le cas de Bala qui s’aventure sur un registre assez inédit en Inde.
L’histoire raconte le passage de l’enfance à l’âge adulte de Surya (Abhimanyu Dassani, fils de l’actrice indienne Bhagyashree, et dont c’est la première apparition au cinéma), qui souffre d’une maladie rare: il ne ressent pas la douleur. Cette maladie va le pousser tout naturellement à s’intéresser aux sports de combat. Surya a un but: il veut devenir le plus grand combattant, en affrontant, comme son idole vue sur une VHS, 100 combattants d’affilée.
L’histoire est surtout un prétexte pour permettre au héros d’affronter des hordes d’ennemis dans des combats toujours plus spectaculaires, dans une pluie de références variées. On devine derrière le personnage principal, un enfant un peu seul fan de vieux films, qu’il s’agit là de l’enfance du réalisateur. Et c’est ce qui rend le film si attachant. Et si sincère.
Vasan Bala, interviewé par Le Mag Cinéma à ce sujet, explique: « Le film est en effet très autobiographique. Toutes ces VHS que Surya regarde compulsivement, ce sont les films dont je me nourrissais étant enfant. Mais l’aspect le plus autobiographique est la relation entre Surya enfant et son grand-père, qui est aussi son mentor et celui qui lui permet de faire ce que son père ne lui autorise pas. C’est la même relation que j’avais avec mon grand-père. Bienveillant, et à l’écoute. J’ai essayé de retranscrire cette relation dans le film. »
Le film est souvent drôle, coloré, foutraque, et filme Mumbai d’une manière assez inédite. Si les occidentaux aiment souvent la dépeindre comme le théâtre à ciel ouvert de la misère, et que Bollywood la magnifie de façon exagérée, Vasan Bala trouve un juste milieu pour filmer la ville telle qu’elle est: « J’ai filmé Mumbai dans des quartiers très populaires, ceux où les gens vivent, ceux où j’ai pu grandir, qu’on ne montre que rarement dans le cinéma indien. » Ce choix participe beaucoup à démarquer un peu plus le film de ce qui se fait habituellement en Inde. Et la ville, bruyante, folle, est en parfaite adéquation avec le film.
« The man who feels no pain » n’est pas exempt de défauts, loin de là (un film plus court, une histoire moins éparpillée et des personnages plus étoffés auraient sans doute permis au film d’être bien plus intéressant), mais il faut saluer la démarche de faire un film aussi barré, aussi pop, avec des références qui vont des films de la Shaw Brothers, ceux de Jackie Chan et de Bruce Lee, et aussi le meilleur du cinéma indien plus ancien (« Sholay« ), dans un cinéma indien souvent très classique.
Les scènes de combat sont mises en scène d’une manière bien différente de ce que Bollywood propose habituellement. Vasan Bala nous raconte que c’est « en voyant des vidéos sur Youtube d’Eric Jacobus et de Dennis Ruel, deux cascadeurs, qu’il a voulu les embaucher pour mettre en place les chorégraphies des combats. Nous avions à coeur d’avoir des vraies scènes de combat, sans trucages. » Le choix est gagnant. Les combats sont brutaux, spectaculaires, et Bala laisse tourner sa caméra, évitant de recourir à un montage épileptique qui permettrait de tricher les coups. Cela rappelle parfois le meilleur de Jackie Chan à sa grande époque. Il faut à ce titre saluer la performance d’Abhimanyu Dassani, qui explique: « Je me suis entrainé intensivement pendant huit mois, en travaillant ma souplesse et en apprenant intensivement le kung-fu. Je n’étais pas combattant à la base mais je voulais que les combats soient impressionnants. » Objectif accompli haut la main.
On reconnaît chez Vasan Bala une patte qui pourrait nous rappeler celle d’Edgard Wright (avec « Scott Pilgrim » notamment), ou même Tarantino, toute proportions gardées, dans cet art de se nourrir de ses références pour créer quelque chose d’inédit. « The man who feels no pain » est le second film de Vasan Bala, et est séduisant. Son premier, « Peddlers« , avait déjà été présenté au TIFF en 2012. On prend d’ores et déjà rendez-vous pour la suite, en espérant des films tout aussi barrés.