Brady Corbet avec The Brutalist ne manque pas d’ambition. Qui plus est, au delà la tentative de toucher au magistral, de livrer une œuvre « monumentale » comme s’amuse à le qualifier certains commerciaux, le film comporte une part singulière. Pour un film américain, retenu en compétition à Venise 2024, ne pouvions qu’apprécier l’initiative. D’autant qu’il semble difficile de taxer le film d’objet de mode, netflixien ou amazonien par exemple, comme nous avons pu en voir ces dernières années, produits par des cinéastes qui ne savent pas mettre en pause certaines idées formelles initiales intéressantes qui rapidement prennent le pli sur tout le reste jusqu’à écraser leur sujet eux même (Blonde par exemple). The brutalist lorgne même, par son ambition narrative ample (un homme, une famille, un destin, une époque, un pays, une société, un art), son temps long, – plutôt rare dans le cinéma américain hormis des Beatty ou autres Lumet, à moindre titre Scorcese et P.T. Anderson– et ses thématiques décadentes, traumatiques du côté du cinéma de Visconti; nous y percevons pour le moins un lointain cousinage. Cela suffit-il à en faire un grand film ?
Sur la forme, le récit s’étale sur plusieurs décennies, dont quelques extraits nous sont proposés, entre deux coups d’accélérateurs, deux éclipses – Corbet fait le choix de s’attarder sur des périodes voire des moments d’une vie, puis, à la fin de ceux-ci, nous transpose, sans coup férir, façon Star Trek, dans une nouvelle bulle spacio-temporelle . Le fil conducteur ? Une œuvre pharaonique, de l’ordre de celle que l’on ne termine jamais, comme peut l’être un film trop ambitieux, un film qui s’attaquerait à un sujet trop grand ou inattaquable. La métaphore vaut notamment pour ce que le film finira par révéler, Brady Corbet se rappelant, peut être, aux bons souvenirs de ses débuts d’acteur (le très singulier, magnifique et hardcore Mysterious Skin de Gregg Araki).
The brutalist , sur la forme, épate par ses quelques très belles qualités. En premier lieu, il convient de mettre en avant le travail formidable réalisé sur le son et la musique du film, qui n’a de cesse de venir sublimer les images, traduire les perceptions, plus que de les souligner, le tout dans une ambiance avant-gardiste manifeste, une sorte d’acid jazz électrisé que l’on viendrait agrémenter de beats hyper rapides. Le travail sur l’image lui aussi se distingue, que ce soit la recherche d’une photographie Kodak (70 mm), le travail sur les flous, là aussi pour évoquer des perceptions perturbées, des moments d’errance cérébrales. Nous pensons aussi à ces quelques séquences plastiques, ces transitions à valeur d’accélération temporelle, qui s’appuient sur des photocollages agrémentés de sons et de musique qui annoncent les changements que l’écoulement du temps autorise, quand ils n’évoquent pas directement la thématique auquel le film va se raccrocher.
De l’ambition, de la singularité, et quelques excellentes idées, de la tenue même, les dés eurent du en être jetés et nos esprits totalement conquis. Mais pour cela, il eut fallu, que le fond, l’histoire comme le sujet, nous marque bien davantage et nous embarque, qu’il ne s’égare pas du côté du sempiternel American Dream retourné. Ici, le conte de fée s’invite très souvent, même aux pires instants supposés – magie que permet le cinéma, mais à quel prix !. Il eut fallu que le rythme du film et sa durée correspondent à ce qu’il avait réellement à nous dire. Les quelques 3h retenues en valaient probablement 2, sans que la lenteur ne soit à incriminer, en ce qu’elle instaure une intéressante part de mystère, tende à épaissir les intrigues, les épreuves, en les rendant plus véridiques. Surtout, il eut fallu que notre attention puisse être entièrement captée par l’écriture, qui en bien des aspects nous se rapprochent de celle d’une série, qui certes s’accorde du temps pour approfondir ses personnages, mais qui s’autorise aussi des pauses « plaisirs », des redondances narratives, des insistances futiles à laquelle une écriture plus cinématographique ferait la chasse, dans une double logique d’épure et d’efficacité. De façon paradoxale, à ainsi chercher à maintenir le spectateur éveillé par des à côtés, à le réveiller plus encore en lui proposant des revirements soudains, The Brutalist en vient à nous lasser, par surenchère.
Brady Corbet a assurément de l’avenir devant lui en tant que cinéaste, The Brutalist, assurément constitue une jolie promesse, mérite le détour, mais si nous évoquions un lointain cousinage avec Visconti, Lumet ou Beatty, nous venons ici d’en déterminer la limite principale.