Le FID Marseille n’a pas trahi, une fois encore, sa réputation de festival qui s’intéresse à des cinémas différents, à une conception du cinéma différente de ce qui se joue dans l’industrie dominante. Pour les critiques que nous sommes, ces contre propositions nourrissent nos regards, interrogent plus encore la définition même de l’art que l’on chérit, que ce soit sa fonction, les formes que cet art permettent, la manière de raconter une histoire ou d’aborder un sujet, où la pertinence des règles de production en vigueur qui se transmettent de cinéastes en cinéastes, et peuvent potentiellement les brider.
Ainsi, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec deux équipes de films qui rentrent parfaitement dans cette catégorie de cinéma à part.
La première rencontre que nous vous proposons est avec Madeleine Hunt-Ehrlich et Zita Hanrot, respectivement réalisatrice et actrice principale de La ballade de Suzanne Césaire, un film qui épouse une forme sensible (les images et les sons viennent en surimpression de la poétesse et activiste, le procédé filmique s’appuie sur un concept double de mise en abyme et de recherche de forme en mouvement, le langage lui même est questionné) pour nous parler d’une femme oubliée, dans l’ombre de son Mari, qui a souhaité qu’il en soit ainsi, malgré son talent manifeste. Si l’Histoire a jusqu’à présent retenu Aymé, qu’en aurait-il été s’il n’y avait eu Suzanne ?
Taillé pour trouver sa place dans les musées d’art contemporain, La ballade de Suzanne Césaire concourait au FID dans la catégorie Film prétendant à une sortie en salle, ambition de la jeune réalisatrice new yorkaise, qui souhaite contribuer à faire connaître Suzanne Césaire au plus grand nombre.
La seconde rencontre que nous vous proposons est avec l’équipe du film Le chant des pylônes au grand complet. Un premier film très ambitieux, auto-produit, dont la liberté de réalisation permet de croiser les genres différemment, de viser juste socialement, de porter un questionnement tout à la fois politique et mystique, de faire la part belle à la surprise et à l’émerveillement permanent. Un film rempli de fraîcheur, qui touche, et s’autorise même des moments comiques réussis. Parfaitement accompagné par sa partition musicale, elle aussi ambitieuse et protéiforme, l’équipe au grand complet s’est autorisé des détours que les conditions de productions industrielles leur aurait interdit. Ainsi, la référence principale fièrement affichée – et il y a de quoi-, celle de viser une atmosphère Tarkovskienne dans des paysages où l’homme ne s’aventure que rarement, non seulement s’est imposée à nous, mais surtout, elle a réveillé une question en nous, pourquoi certains cinémas jadis encensés ne jouent-ils plus aujourd’hui le rôle de marqueur de qualité, de Tarkovski à Kieslowski, en passant par Lumet ou Godard, pour être supplantés par des faiseurs industriels aux intentions artistiques qui se limitent à une vision technique et performative du cinéma ?