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Une promenade à Prague

Prague a longtemps été une ville-carrefour. Un carrefour intellectuel, artistique, mais aussi linguistique avec, des siècles durant, la coexistence séculaire du latin, du tchèque, de l’allemand, du yiddish, du romani… Les premiers films parlants tchèques sont souvent simultanément tournés en plusieurs versions : tchèque, allemande, française… Carrefour religieux enfin : animiste (Les Vieilles Légendes tchèques), catholique, juif (Le Golem), protestant… Tous les styles architecturaux s’y côtoient dans un fantastique kaléidoscope : baroque et rococo (Amadeus)… Grands ensembles de barres et de tours, filmés sur fond d’un soleil brûlant par Věra Chytilová dans Panelstory… Palais Art nouveau du temps de l’empire austro-hongrois (Le Dirigeable volé)… À la même époque, en 1898, le technicien en bâtiment Jan Kříženecký achète un cinématographe aux frères Lumière et tourne les premières vues de Prague, puis les premiers films de fiction tchèques. Cependant, « Prague n’est pas une carte postale, ni un décor de théâtre, mais une monumentale synthèse, excroissance des siècles, dans un paysage fatal », ainsi que le dit Chytilová au début de son essai visuel Prague, coeur agité de l’Europe. L’Histoire a profondément marqué cette région, ce qu’évoque Stan Neumann dans son documentaire Une maison à Prague. Après les vingt années de jeune démocratie tchécoslovaque qui suivirent la Première Guerre mondiale et qui virent peu à peu le développement de films de plus en plus ambitieux (D’une nuit à l’autre, Extase), politiquement engagés également (La Peste blanche), le pays est occupé par les nazis. Au lendemain de la guerre, qui a vu l’assassinat de la majorité de la communauté juive (mais aussi de plus de la moitié de la communauté rom), la minorité de langue allemande est brutalement expulsée du pays (Shadow Country). En 1948, la prise de pouvoir par les communistes fait basculer la Tchécoslovaquie à la périphérie de l’Europe : dans le bloc de l’Est soviétique. Ces bouleversements ont fait que les Tchèques sont profondément taraudés par des questions d’identité. Et si la Nouvelle Vague tchécoslovaque a su donner le jour à quelques films contestataires, à travers ses prises de vue d’acteurs non professionnels, dans la rue, un de ses principaux mérites aura été de se poser la question de cette identité aussi loin que possible de la langue de bois du régime d’alors, de tenter de rendre à l’homme son humanité.
Ce même mouvement se retrouve dans les films de Bohdan Sláma, un des grands témoins de la période post-totalitaire de ces dernières trente années, alors que certains recoins de Prague, pris d’assaut par le tourisme, ont pu prendre des aspects de carte postale ou de décor de film (on ne compte plus d’ailleurs le nombre de grosses productions hollywoodiennes qui, depuis 1989, viennent tourner dans la capitale tchèque). Alors que l’entrée du pays dans l’Union européenne, en 2004, a pu symboliser son retour au coeur de l’Europe, les personnages de Sláma, peinant à se retrouver entre les ruines du passé et les excès des nouvelles possibilités consuméristes comme bon nombre d’autres Européens, leurs égaux, vont souvent situer leur quête d’authenticité, d’amour et d’amitié en périphérie, dans une fuite des grandes villes, la redécouverte d’une vie plus naturelle, voire dans des activités en apparence marginales (Ice Mother). Après un passage à vide dans les années 1990 dû à la transition d’une économie étatisée à une économie de marché, des films comme Alois Nebel de Tomáš Luňák (2011), Ma famille afghane de Michaela Pavlátová (2021) ou Love, Dad de Diana Cam Van Nguyen (2021) montrent que le cinéma d’animation tchèque, auquel des auteurs comme Týrlová, Zeman ou Trnka ont donné ses premiers titres de gloire, n’est pas près de s’arrêter de vibrer. Ce cinéma participe d’une autre veine, individualiste et expérimentale, dont les jalons ont pu passer par le surréalisme (Alice, Les Conspirateurs du plaisir), le pop’art (Les Petites Marguerites) et d’autres recherches stylistiques. Dans ce contexte, Václav Kadrnka représente une voix neuve, bressonienne, spiritualiste, à (re)découvrir d’urgence.

Jean-Gaspard Páleníček
Poète franco-tchèque, traducteur, commissaire d’expositions

Portraits


Václav Kadrnka, l’art de voir
En sa présence


Václav Kadrnka (né en 1973 à Zlín) a fait des études de théâtre en Grande Bretagne, où sa famille s’est exilée à quelques années de la chute du régime communiste. De retour au pays en 1992, il étudie la réalisation à l’école de cinéma FAMU de Prague et devient un temps l’assistant de Vojtěch Jasný. Son premier long métrage lui vaut une reconnaissance internationale et entame une trilogie libre sous le signe de « l’absence de l’aimé » : dans l’autobiographique Eighty Letters (2010), une mère et un fils tentent désespérément d’obtenir l’autorisation de quitter la Tchécoslovaquie communiste pour rejoindre leur mari et père exilé ; dans Little Crusader (2017), un seigneur médiéval part à la recherche de son fils, parti en croisade ; dans Saving One Who Was Dead (2021), une mère et un fils tentent de maintenir un contact avec leur mari-père tombé dans le coma suite à une attaque cérébrale. […]

Masterclass
Deux voies du cinéma tchèque d’aujourd’hui


Sam 5 fév. – 17h – Liberté / l’Étage GRATUIT


EIGHTY LETTERS
Osmdesát dopisu
République tchèque, 2011, 1:15, vostf
Avec Zuzana Lapcíková, Martin Pavlus, Gerald Turner
Tchécoslovaquie, 1987 : le père a déserté en Angleterre, la mère et son fils envisagent de quitter le pays pour le retrouver. Cette adaptation des souvenirs du réalisateur suit la journée particulière que vivent mère et fils confrontés au dédale bureaucratique communiste. Le cinéaste livre une histoire personnelle poignante sur la séparation et le désir de retrouvailles avec un être cher.


2/2 16 h 00 Arvor
3/2 17 h 00 Gaumont
6/2 14 h 00 Arvor


LITTLE CRUSADER
Krizácek
République tchèque / Slovaquie / Italie, 2017,
1:30, vostf. Avec Karel Roden, Ales Bílík, Matous John, Jana Semerádová
Le petit Jan s’est enfui de chez lui après un rêve sur la sainte mission des enfants. Son père, vieillissant, le cherche de toutes les manières possibles, essayant de rattraper son fils, mais il arrive toujours trop tard. Peu à peu, l’image de son fils s’estompe… Au coeur d’un road movie médiéval épique et stylisé, le cinéaste dépeint un drame envoûtant qui invite le spectateur à une quête de sens.


4/2 19 h 00 Gaumont
8/2 14 h 00 Arvor


SAVING ONE WHO WAS DEAD
Zpráva o záchraně mrtvého

République tchèque / Slovaquie / France, 2021, 1:30, vostf
Avec Vojtech Dyk, Zuzana Mauréry, Petr Sal
Après un grave accident vasculaire cérébral, un homme tombe dans le coma. Sa femme et son fils sont soudainement confrontés à un corps immobile ; les médecins ne leur donnent pas beaucoup d’espoir. La personne bien-aimée est partie très loin et on ignore si un jour elle reviendra. Cette oeuvre semi-autobiographique explore avec finesse le monde transitoire entre la vie et la mort.


5/2 20 h 30 Gaumont
7/2 16 h 30 Gaumont

Bohdan Sláma, l’humanisme intimiste
En sa présence

Après des études à l’Université technique de Prague, Bohdan Sláma (né en 1967 à Opava) est diplômé de l’école de cinéma de Prague FAMU, dont il dirige aujourd’hui la chaire de réalisation. Dès son premier long métrage (Les Abeilles sauvages – 2001), il s’impose comme un des plus marquants continuateurs de la Nouvelle Vague tchèque — une filiation renforcée par son travail d’assistant de Věra Chytilová ou par l’important livre d’entretiens avec Miloš Forman qu’il publie en 2012. Ses films, intimistes, portés par un rythme introspectif, se recentrent sur les relations humaines — amoureuses, familiales… — dans une société tchèque bouleversée par quarante ans de joug totalitaire autant que par les mutations sociales et économiques de l’après 1989, défiante de toutes clefs idéologiques, qu’elles soient politiques ou religieuses. Souvent situés dans des régions marginales du pays — campagnes, banlieues —, il y traite de questionnements identitaires : dans notre rapport à l’Histoire, notamment avec ce qu’elle comporte de fautes non acquittées (l’expulsion des minorités de langue allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans Shadow country – 2020), à l’altérité (l’homosexualité, dans Country Teacher – 2008), à la terre des ancêtres (Something Like Happiness – 2005) – et tisse un appel à l’humilité, la patience, l’espoir face aux adversités, et au dépassement de soi-même (Ice Mother – 2017).


Masterclass
Deux voies du cinéma tchèque
d’aujourd’hui

Sam 5 fév. – 17h – Liberté / l’Étage GRATUIT


LES ABEILLES SAUVAGES
Divoké včely
République tchèque, 2001, 1:34, vostf
Avec Zdenek Rauser, Tatiana Vilhelmová
Dans un village reculé de la Moravie, toute la vie est centrée autour du débit de boisson. Après quarante ans de communisme, il ne reste qu’une église délabrée et des terrains agricoles laissés à l’abandon. Ce premier long métrage pose les premières pierres stylistiques du cinéaste qui s’attache à filmer à hauteur humaine une splendide série de portraits d’une sincérité déconcertante.

2/2 18 h 30 Arvor
8/2 16 h 00 Arvor

SOMETHING LIKE HAPPINESS
Šteští
Rép. tchèque / Allemagne, 2005, 1:40, vostf, 35mm
Avec Tatiana Vilhelmová, Pavel Liska, Anna Geislerová
Radiographie d’un groupe de voisins habitant un quartier populaire d’une petite ville tchèque qui porte les cicatrices de l’industrialisation : une jeune femme espère rejoindre son fiancé émigré en Amérique, son ami d’enfance est secrètement amoureux d’elle, une mère délaisse ses enfants… Slàma saisit avec brio la vérité de ces fragments de vie à travers un travail acharné, dont seul le résultat subsiste à l’écran.

2/2 14 h 30 Arvor
4/2 16 h 15 Arvor
6/2 21 h 00 Arvor



COUNTRY TEACHER
Venkovský Učitel
Allemagne / Rép. tchèque / France, 2009, 1:57, vostf,
35mm. Avec Pavel Liška, Zuzana Bydžovská
Professeur de biologie dans un lycée de Prague, Petr quitte un jour la capitale pour devenir instituteur dans un village de campagne. Les habitants s’interrogent sur les raisons qui ont pu le pousser à cet « exil ». Bohdan Sláma propose une vision délicate et authentique d’un monde où le bonheur n’est pas toujours là où on l’attend. Une expérience intime, émouvante, à la portée universelle.

3/2 13 h 45 Arvor
7/2 20 h 45 Arvor

ICE MOTHER
Bába z ledu
République tchèque, 2017, 1:45, vostf
Avec Zuzana Krónerová, Pavel Nový, Marek Daniel
Hana, soixante-sept ans, se sent seule depuis la mort de son mari. Lorsqu’elle sauve Broňa de la noyade, elle fait la connaissance de nageurs en eau libre dont la spécialité est de braver les rivières glacées. Avec eux, c’est tout un monde qui s’ouvre à elle et sa vie s’en trouve dès lors bouleversée. Le cinéaste nous offre le portrait rare et émouvant d’une femme vieillissante qui bouscule les
conventions.

4/2 20 h 30 Gaumont
5/2 18 h 15 Acigné
6/2 16 h 00 Saint-Malo
7/2 18 h 30 Gaumont
8/2 14 h 00 Tambour
9/2 17 h 45 Loudéac
14/2 20 h 45 Loudéac

SHADOW COUNTRY
Krajina ve stínu AP République tchèque / Slovaquie, 2021, 2:15, vostf, N & B.

Avec Magdaléna Borová, Csongor Kassai, Stanislav Majer

3/2 20 h 45 Arvor
5/2 13 h 45 Gaumont

Jiří Menzel, la comédie est une arme !


En collaboration avec Malavida Films Né en 1938, Jiří Menzel apprend son métier à la FAMU, la célèbre école de cinéma de Prague. Il signe des courts métrages avant de participer au film collectif Les Petites Perles au fond de l’eau (1965), basé sur cinq histoires de l’écrivain Bohumil Hrabal, avec lequel il a une affinité particulière. Il éclate sur la scène internationale avec Trains étroitement surveillés (1966), film clé de la Nouvelle Vague tchèque. Le réalisateur enchaîne ensuite les réussites, Un été capricieux (1967), puis Alouettes, le fil à la patte (1969), film interdit. L’élan libérateur du Printemps de Prague est brisé par l’invasion des chars en 1968, marquant le début de la Normalisation qui met un coup d’arrêt à la carrière de Menzel. {…]


UN ÉTÉ CAPRICIEUX
Rozmarné léto
Copie restaurée — Tchécoslovaquie, 1968,
1:16, vostf. Avec Rudolf Hrusínsky, Vlastimil Brodsky
Au cours d’un été pluvieux, la nonchalance d’un groupe d’amis vieillissants est troublée par l’arrivée d’un magicien itinérant et de son assistante, la belle Anna. Sensuelle et intimiste, cette partie de campagne, tirée d’une nouvelle de Vladislav Vančura, un des grands auteurs modernes de la littérature tchèque, est une oeuvre intemporelle, envoûtante et visuellement superbe.


2/2 14 h 00 TNB 4/2 16 h 30 TNB

TRAINS ÉTROITEMENT SURVEILLÉS
Ostře sledované vlaky
Copie restaurée — Tchécoslovaquie, 1966, 1:33, vostf, N & B. Avec Václav Neckár, Josef Somr
Miloš travaille dans une petite gare tchèque pendant la Seconde Guerre mondiale. Tourmenté par sa timidité, il n’arrive pas à séduire la jolie contrôleuse qui pourtant s’offre à lui. Devant cet échec et désespéré de ne pouvoir exprimer ses sentiments, il tente de se suicider. Film tragi-comique inclassable, cocktail burlesque et détonnant, où se mêlent Histoire et intimité. Un chef-d’oeuvre !

Oscar du meilleur film étranger 1968.

« Dans une nouvelle d’un auteur anglais il est question d’un type qui se retrouve pour la première fois de sa vie sur un terrain de golf : on lui met un club entre les mains et il tire la balle pile dans le trou dès son premier coup. Eh bien moi aussi, il m’est arrivé quelque chose de semblable ! C’est par hasard que le manuscrit des Trains étroitement surveillés est tombé entre mes mains et de la même manière, une série de heureux hasards ont accompagné le film, jusqu’à l’Oscar du meilleur film étranger…

« Si vous aimez vraiment quelqu’un, les choses se font d’elles-mêmes. (…) Tout comme en amour. Tant qu’on est jeune, on a beau être gauche, l’amour vrai et la passion viennent tout compenser amplement. A l’âge adulte, on maîtrise la technique. Peut-être même à la perfection, mais celle-ci ne saurait remplacer une passion véritable. J’ai vécu le tournage avec une vraie plénitude, je réfléchissais à chaque plan, je plaçais la caméra, en surveillais l’angle et puis je serrais toutes les manettes pour que l’assistant cadreur du chef opérateur ne bouge plus avec la caméra. J’aimais les plans statiques où ne bougent que les acteurs, la caméra restant immobile. Ainsi, chaque mouvement de caméra, de par sa rareté, a un effet émotionnel accru. »

LES FESSES DE JITKA

« A l’époque, la nudité était encore taboue au cinéma. Lors du tournage des scènes sensibles, Jitka [Zelenohorská] fit montre d’un calme absolu, contrairement à nous autres qui étions nerveux au plus haut point. (…) Les mains de [Josef] Somr tremblaient, moi, j’étais rouge jusqu’aux oreilles, et seule Jitka était allongée sur le ventre, lisant un livre tranquillement, indifférente à ce qu’on faisait subir à son fessier. »

« Le directeur des Films tchécoslovaques (…) me demanda de couper la scène avec les tampons. (…) Nous avions une avant-première (…) je lui proposais de tester les réactions (…). Au cours de la discussion qui suivit la projection, il va de soi que lorsque j’ai demandé à la salle pleine à craquer s’il fallait couper la scène, la réaction du public fut univoque. Tous en chœur répondirent non. Ainsi, les fesses de Jitka purent rester dans le film. »

Jiri Menzel


2/2 20 h 30 TNB
3/2 20 h 30 Cesson S.
4/2 20 h 45 Acigné
6/2 20 h 30 Saint-Malo
8/2 18 h 15 TNB
8/2 20 h 30 Romillé

UNE BLONDE ÉMOUSTILLANTE
Postřižiny
Copie restaurée — Tchécoslovaquie, 1981,
1:38, vostf. Avec Magda Vásáryová, Jirí Schmitzer
Au début des années vingt, Francin dirige la brasserie d‘un village. Maryška, sa femme, par sa beauté, fait l’orgueil des villageois dont elle aime être entourée, ce qui agace fortement son mari. Un jour, Pépin, le frère de Francin, débarque et bouleverse ce petit monde… Une bouffée d’air frais qui nous
transporte au plus près des personnages dans cette comédie brillamment mise en scène.


4/2 18 h 15 TNB
8/2 14 h 00 TNB
8/2 20 h 30 Guipry-Messac


MON CHER PETIT VILLAGE
Vesnicko má stredisková
Tchécoslovaquie, 1985, 1:38, vostf
Avec János Bán, Marián Labuda, Rudolf Hrusínsky
La tranquille vie d’un village tchèque dans les années 1980 se voit perturbée lorsque Pavek décide de se débarrasser de son assistant Otik, un homme simple d’esprit, qui a le don d’accumuler les catastrophes autour de lui. Emplie de tendresse, cette comédie farfelue, à l’esthétique burlesque issue du
cinéma muet, donne aussi à voir les travers de la société d’alors.
Nommé aux Oscars du meilleur film étranger 1987.


3/2 13 h 45 Tambour
5/2 16 h 15 TNB

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