Un film d’Alix Delaporte
Avec Roschdy Zem, Alice Isaaz, Vincent Elbaz, Pierre Lottin, Pascale Arbillot, Jean-Charles Clichet
Gabrielle, 30 ans, intègre une prestigieuse émission de reportages. Elle trouve peu à peu sa place au sein d’une équipe de reporters aguerris, qui ont connu les grandes heures du journalisme de terrain. Malgré l’engagement de Vincent, leur rédacteur en chef, ils sont confrontés au quotidien d’un métier qui change, avec des moyens toujours plus réduits, face aux nouveaux canaux de l’information. Ils restent cependant habités par la solidarité, le sens de l’humour, la passion pour la recherche de la vérité et la foi en l’avenir.
Lors du Festival des Arcs 2023 #LAFF2023, Vivants était projeté en avant-première (le film sort le 14 Février) en clôture du festival, après avoir déjà été montré en hors compétition lors de la dernière Mostra de Venise. Dans le cadre idyllique de la Station des Arcs, aux toits enneigés, nous avons pu nous entretenir avec Alix Delaporte, de retour sur grand écran depuis son dernier film (Le dernier coup de marteau, 2014) après 9 ans d’absence. Nous revenons avec elle sur la génèse du film et ses intentions thématiques et formelles.
L.M.C.: Bonjour Alix. Angèle et Tony fut très remarqué en 2014, il obtint le prix Michel d’Ornano à Deauville, puis ensuite Le dernier coup de marteau qui avait été qui avait obtenu quelques récompenses à Venise et depuis on n’avait pas de vos nouvelles. Que s’est-il passé entre entre Le dernier coup de marteau et votre nouveau film Vivants?
Alixe Delaporte: Et bien j’ai fait beaucoup de choses en fait. J’ai vécu déjà. Je fais beaucoup de photos, j’ai beaucoup voyagé et j’ai beaucoup écrit, notamment ce que je vais faire après. Là, maintenant, c’est plutôt une période où j’ai écrit les projets pour enchaîner plus les tournages. Voilà. Et je suis allé voir aussi comment se faisait le cinéma dans les autres pays. J’ai commencé le journalisme à 17 ans et j’avais aussi envie de couper un peu, je m’étais jamais arrêté. Et là je me suis un peu arrêté.
Vous vous attaquez avec Vivants à un sujet que l’on imagine fortement inspiré de vos années Canal+, nulle part ailleurs, et puis aussi de l’esprit collectif qu’il pouvait y avoir dans cette émission ?
Oui et et beaucoup l’Agence Capa où j’ai quand même passé deux ans. Cette agence de presse qui faisait l’émission 24 h dont je me suis inspiré.
« Vivants » au pluriel est un titre qui peut avoir plusieurs sens. Recherchiez-vous cette polysémie ?
On nous pose souvent des questions qui nous obligent à analyser le pourquoi de nos choix et j’ai toujours l’impression [que cet exercice n’est pas facile] , peut être que pour les autres c’est plus facile… J’ai fini le montage il y a quinze jours, c’est pourquoi je pense que c’est compliqué d’y répondre. Je pourrais trouver des réponses là, mais elles seraient très immédiates et en fait sans beaucoup de distance, j’y ai pas assez réfléchi. C’est comme ça en fait. Tout d’un coup ça arrive et c’est ça et ça vous semble juste.
Et c’est arrivé à quel stade de l’écriture du coup?
Alors il y a une raison en fait à vivants, c’est que j’avais rencontré une jeune journaliste qui était un peu mercenaire et qui partait en indépendante et elle me disait « quand je rentre de reportage et que je suis chez moi, je n’ai qu’une envie, c’est de repartir« . Parce que sur le terrain, c’est là qu’elle se sent. Elle se sentait tellement vivante et on se sent tellement vivant. C’est vrai que sur le terrains, il y a quelque chose de particulier, c’est que la frontière entre la vie et la mort est très ténue. C’est ça qui fait que les gens se transcendent. Il y a une sorte d’adrénaline. C’est un endroit dans un endroit, un endroit particulier, on ressent des choses très fortes et rentrer, effectivement peut paraître … Enfin, en tout cas, beaucoup se sentent déphasés.
Est ce que le personnage de Gabrielle emprunte à cette jeune personne est un peu, j’imagine aussi à vous même?
Forcément. Mais je ne me le suis jamais dit puisque l’autofiction n’a jamais été quelque chose que j’ai recherché. C’était ma porte d’entrée et encore une fois, je ne l’ai pas décidé. J’ai démarré par « Gabriel, 30 ans. »
Le film distribue clairement des ondes positives. Vous vous intéressez à beaucoup de choses qui, relèvent du positif, mais vous jetez aussi un regard sur le monde médiatique, sur les jeux de pouvoir, les ambitions personnelles, la porosité aussi qu’il peut y avoir entre la vie professionnelle et la vie sentimentale. Est ce que vous avez cherché dans votre écriture à trouver le juste équilibre entre ces deux tonalités du film. Ou est ce que dès le départ vous vouliez en privilégier l’une par rapport à l’autre ?
Alors je pense que c’est un film dans lequel j’ai envie d’emmener le spectateur et de le mettre en immersion. Mais en fait l’immersion, c’est la base de ce métier là, rentrer en immersion dans un milieu, un univers, un groupe de gens. Donc ma volonté c’était de faire découvrir ça, c’est sûr. Et je crois que ça me reste du journalisme. J’interroge en fait les choses qui sont fragiles. Si je faisais un film sur les marins pêcheurs, je pense que j’aurais interroger la situation des marins pêcheurs et la raison des quotas. Et puis bien sûr, est-ce que ce métier va pouvoir continuer ? ici, je ne l’ai pas intellectualisé, mais je vois bien que j’interroge, je dis attention, c’est précieux quand même ce métier là. Et si on perd ça – je pense qu’on le perdra pas, il faut le protéger. Un peu comme on parle du cinéma, il faut le protéger, c’est très précieux. On a beaucoup de chance, on a une presse indépendante, mais il faut la protéger. Donc j’interroge, je dis Attention, c’est pas si simple que ça. Il y a de moins en moins d’argent pour le faire, de moins en moins de journalistes qui partent sur le terrain, de moins en moins de monteurs dans les salles de montage, de moins en moins de budget pour les ingénieurs du son. Et donc tout ça crée une plus grande difficulté à faire ce métier et peut être une frustration chez les jeunes journalistes. Mais aussi une mise en danger des humains eux mêmes puisque quand les périodes de terrain sont très réduites, on a moins le temps d’appréhender les risques puisqu’on a moins le temps d’interroger les gens et d’identifier où sont les dangers. Donc j’interroge, j’interpelle, je dis peut être qu’il y a quelque chose qu’il faut bien regarder. Et force est de constater qu’on a de moins en moins d’émissions de grands reportages.
Le récit s’intéresse à l’engagement, à la vocation, au fait que la passion emporte tout, même sur la vie, qu’elle peut faire oublier le danger. Est ce que pour travailler cette matière là, puisque vous avez fait du journalisme, sans être reporters de guerre, vous vous êtes appuyés sur des témoignages ?
Quand j’étais à l’agence Capa, j’ai vu. J’y suis resté un an et demi. Après je suis parti, suis devenu cameraman, donc j’ai quitté ce monde là. Mais pendant ces un an et demi, je les ai vus en fait, ces reporters, je les ai vus arriver, partir et revenir. J’ai vu les gens qui préparaient le matériel pour eux. J’ai été proche d’eux en fait, et je les ai observés. C’est pour ça, probablement que le personnage de Gabriel est plutôt dans l’observation et à la place de la caméra. Elle n’est pas elle, celle qui part. Elle aimerait partir, mais elle n’est pas celle qui va sur le terrain. Et je les ai vus revenir du Rwanda. Je les ai vus être blessés, je les ai vus.
D’un point de vue formel, au départ aviez-vous quelques références picturales, musicales ou des choses qui vous ont animé pour trouver la forme de ce film ?
La mise en scène est déterminée surtout sur un film de troupe, par les comédiens et en fait chaque acteur que j’ai choisi. En fait, ce sont eux qui donnent la forme. On pourrait dire « Vincent Elbaz est grand » et et ça compte en fait. Comment va-t-on le filmer puisqu’il est si grand. Ce sont les comédiens qui induisent la forme à travers leur mouvement. Sont-ils ensemble? Une scène de groupe va déterminer où on doit les placer. Pour moi, ils ne sont pas des acteurs, mais Les Personnages. Les acteurs nous guident, ils donnent le ton.
Quelques mots sur le casting, que ce soit Alice Isaaz, Roschdy Zem pour les acteurs principaux, mais il y a aussi de belles trouvailles dans les rôles secondaires. Pouvez -vous nous parler un petit peu de la manière dont vous avez construit ce casting?
C’est vraiment ma troupe. Enfin, la troupe du film. Ma troupe aussi parce que je les adore. Je pense qu’il n’y en a pas un qui peut être bien sans l’autre. Et chaque chaque belle trouvaille, chaque belle scène se joue à cinq. Ce sont des acteurs qui jouent les uns avec les autres, qui ont ce plaisir là. Vincent Elbaz, Pascale Arbillot et Pierre Lottin, ce sont des gens qu’on connaît très, très bien, qu’on est toujours très heureux de retrouver et qui donnent au film une sensation de familiarité, en fait, et ça, c’était important. Et ils donnent ce sentiment parce qu’on a grandi avec eux.
Le film fait la fermeture ici aux Arcs, il a été projeté avant cela en hors compétition à Venise. Comment vous sentez-vous par rapport au fait de revenir aux affaires comme ça ?
Bien contente d’être là. Oui, très contente d’être là. Et hâte de recommencer.
A écouter également notre interview d’Alice Isaaz en podcast: