Au programme des tueurs en série peu performants, une adolescente désinhibée, une maison hantée et un conte vietnamien étonnant.
Sélectionné en compétition officielle, Killers réalisé par le tandem Kimo Stamboel/Timo Tjahjanto, surnommé « The Mo Brothers« , fut la première grande déception de ce festival. Le scénario Takuji Ushiyama et Timo Tjahjanto met en scène la relation de deux hommes unis par la mort. Le premier, Nomura Shuhei (Kazuki Kitamura) est un homme d’affaires japonais, prisonnier d’un passé qui le pousse à séquestrer des jeunes femmes pour leur faire subir les pires atrocités. Nomura est consciencieux, met en scène ses crimes à la manière d’œuvres d’art pour les filmer et les diffuser sur Internet. À Jakarta, Bayu Aditya (Oka Antara), un journaliste introverti, observe fasciné les vidéos de Nomura et s’emploiera à reproduire les mêmes atrocités. C’est une même pulsion qui les anime mais chez Bayu, celle-ci est raisonnée, répondant à un désir de justice. Ce court synopsis révèle certaines potentialités qui ne seront jamais exploitées par le film. Opposés mais complémentaires, les deux personnages principaux restent à distance. Si Nomura a tout du serial killer, Bayu n’est qu’un père de famille qu’une frustration professionnelle et sentimentale pousse à bout. Le traitement privilégie trop souvent la forme et emporte son spectateur à l’intérieur de séquences esthétisantes et creuses. Ralentis, lents travellings, hiératisme, la gratuité stylistique l’emporte, les formes sont dépourvues de fond. Alors que le sujet s’y prêtait, les réalisateurs ne s’attardent jamais sur la révolution horrifique induite par les nouvelles technologies. Sur ce point, on se reportera plutôt aux films de Kiyoshi Kurosawa. À peine quelques instants viendront rehausser le niveau du film : des vapeurs d’acide sulfurique échappée d’une baignoire, une escapade burlesque à travers les couloirs d’un hôtel… Le dénouement prend une tournure grotesque. Là où Nicolas Winding Refn parvenait avec Only God Forgives (2013) à produire de pures significations visuelles et sensorielles, Killers échoue lamentablement.
Dans la section « Crossovers », Wetlands fut une belle surprise. Ce long métrage allemand réalisé par David Wnendt détourne le teen movie du droit chemin. Délibérément potache et provocateur, le film parvient à concilier le registre du drame et de la comédie. On retiendra aussi une mise en scène appliquée et audacieuse. Le cadre éclate en un split screen jouissif, ou se décompose en une série de photographies, le travail inventif du directeur de la photographie, Jakub Bejnarowicz, se doit d’être signalé. L’orifice figure un vortex d’images où la poésie macabre du fantasme répond à la crudité sans fard du réel. Ultra-naturaliste et sans concessions, l’identité du film se confond avec la personnalité de son personnage principal, la jeune Helen magnifiquement interprétée par Carla Juri.
L’humour nous ramène à la sélection officielle avec Housebound, comédie horrifique néo-zélandaise. Le réalisateur Gérard Johnstone reprend le poncif de la maison hantée pour mettre en scène les relations conflictuelles d’une mère et de sa fille, assignée à résidence pour une durée de huit mois. Avec son personnage de passe-muraille qui rappelle le criminel de La Volonté du mort (1927) de Paul Leni, ses effets gores, et son habilité à concilier l’effet de terreur et le rire, Housebound a tout pour plaire. Hilarant par son absurdité – l’ours en peluche possédé qui renvoi à la poupée Chucky – le film émet une véritable réflexion sur les procédés et formules stylistiques du cinéma fantastique : travellings verticaux signalant le mouvement d’une présence invisible, apparition fugitive au détour d’un plan non moins momentané. C’est la communication qui est ici l’objet du discours, un problème communicationnel que les personnages ne pourront résoudre qu’en abattant les cloisons de leurs rancœurs… et de leur maison !
Premier film de science-fiction vietnamien et second long métrage de Nghiem-Minh Nguyen-Vo, 2030 laissait entrevoir de belles promesses. Dans un futur apocalyptique, le Vietnam est recouvert par les flots. Pour survivre, les habitants de cette nouvelle Venise pêchent, cultivent des plantes ou s’adonnent à des trafics divers. De formation scientifique, le réalisateur dénonce les conséquences du réchauffement climatique. Grâce lui soit rendu de ne pas avoir rendu sa critique trop insistante. Poétique et contemplatif, le mouvement est d’abord celui des flots que parcourent des êtres à la recherche d’un ailleurs nostalgique. Le dérèglement est autant climatique que sentimentale, le triangle amoureux permet l’émergence d’un souvenir que les difficultés du présent et les douloureuses perspectives d’avenir peinent à réactualiser. Le Clair de lune de Debussy rythme le mouvement amoureux et réconcilie les époques. En lice pour l’Octopus d’Or, 2030 présente un cas à part à l’intérieur de la sélection officielle. Reste à voir si ses particularités joueront en sa faveur ou non.