Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans. Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.
Titane de Julia Ducournau avait bien toute sa place en sélection à Cannes, contrairement à ce que certains, qui écœurés par les premières minutes du film ont quitté précipitemment le théâtre Lumière (pas loin de 20 appels au secours recensés le soir de la première), le jury de Spike Lee est même allé jusqu’à lui décerner la palme d’or, ce qui, comme l’ensemble du palmarès Cannois de cette année, pouvait s’entendre. Artistiquement, Titane se révèle plus convaincant encore que ne l’était Grave, objet sanglant qui rappelait les tentatives de Claire Denis, qui avait, déjà, fait très forte impression, notamment sur la critique. Certes, la jeune réalisatrice française fait, avec son scénario que beaucoup résume à « c’est l’histoire d’une jeune femme qui va s’accoupler avec une cadillac » un peu dans « le poil à gratter » (comme Verhoeven du reste), mais elle a le chic de le faire en composant un univers difficile à cataloguer, tant il emprunte aux autres, tout en suivant sa propre voie.
Ainsi, Titane s’aventure du côté de Nicholas Winding Refn pour les néons, la photographie et la violence hyper-stylisée, voire sexualisées, renvoie aux œuvres de Liliana Cavani ou de Claire Denis pour l’érotisation des corps masculins, à Marina De Van pour le rapport à la corporalité, aux déviances liées, à « on ne sait trop qui » pour la nudité des corps féminins – là aussi très stylisée, à Quentin Dupieux pour le scénario improbable, qui n’hésite pas à rendre réaliste l’absurde, à Ridley Scott (on pense à Alien pour le bébé dans le corps), à David Cronenberg (Crash, l’accident, la voiture), ou encore à James Cameron(Terminator, le cyborg) … Titane surfe aussi sur la vibe actuelle, puisqu’une interprétation possible du récit se veut la rencontre entre 2 titans, à la Marvel, le personnage de Vincent Lindon pouvant convoquer Hulk par instant …
Ce patchwork, un rien horrifique, se voit également doté d’une bande son très intéressante. Le montage du film se cale d’ailleurs sur celle-ci, le film pensé en sensations, comprend des passages clipesques, à valeurs tout à la fois de symboles narratifs, et à la fonction rythmique évidente pour l’ensemble.
Pour qui sait – ou peut – prendre la distance avec le récit principal, la quête identitaire d’une serial-killeuse, Titane produit des effets recherchés dans tout bon film: on sourit plutôt, on ne détourne qu’un peu le regard, on se laisse entraîner par l’improbabilité, on rit même un peu.
S’il en fallait la preuve, après Argento et quelques autres, Titane prouve que le cinéma de genre quand il oublie les codes associés restent à inventer. Julia Ducournau insiste d’ailleurs pour ne pas s’inscrire dans le genre, – elle fait du cinéma – et rappelle (lorsque nous lui posons la question à cet effet en conférence de presse post Cérémonie), que sa culture cinématographique, ses goûts, peuvent trouver également racine chez Pasolini, ou même le néoréalisme italien.
Les essais qu’elle nous propose, sans nul doute, [si ce n’est qu’ils ne conviendront pas aux âmes sensibles ou non adultes] sont vibrants. S’il y avait, à nos yeux, dans la sélection officielle un film injustement oublié pour sa proposition formelle tout aussi déroutante et courageuse (France de Bruno Dumont), accorder la palme d’or à Julia Ducournau nous apparaît bien moins contestable que cela ne fut le cas pour Dheepan, Parasite, The Tree of Life, ou Moi, Daniel Blake pour ne citer que quelques décisions avec lesquelles nous n’étions pas franchement en phase …