En 2085, la Terre n’est plus qu’un immense désert. Les derniers survivants se rejoignent à Athènes, appelés par un ultime espoir…
Et si l’Humanité parvenait à trouver la plénitude alors même que tout s’écroule et qu’elle est condamnée ?
Le dernier film de Jonathan Nossiter, en sélection officielle de Cannes 2020, propose, sous des aspects expérimentaux, un point de vu conceptuel original, des idées esthétiques et un sens de l’imagination très intéressants.
Premier point remarquable du scénario – adapté du roman éponyme de Santiago Amigorena– : le mélange surprenant entre un récit dystopique et une vision documentaire sur la situation des migrants bloqués dans des camps en Grèce.
Le personnage principal, Kal, interprété par Kalipha Touray prend un chemin de migration inversé: Londres, Paris, Bologne, Athènes… N’ignorons pas le sens prophétique de ce pèlerinage qui rappelle le voyage de Moïse jusqu’à la mer rouge… La première demi-heure du film impressionne; nous observons de grands villes européennes entièrement détruites, désertiques, enterrées sous d’énormes tas de déchets. Cette image d’un avenir proche (dans 65 ans seulement!), bien évidemment trop sombre et pessimiste, voire alertant en ce qui concerne les questions écologiques, nous convainc notamment pour la grandeur des décors, qui a du demander un effort important à l’équipe de production.
Montrer le camp des réfugiés (derniers êtres vivants sur terre) à Athènes produit un effet d’autant plus puissant que l’image de Paris et de Bologne en ruines choque – comme s’il s’agissait de villes syriennes après des bombardements. En spectateur, nous savons que cette situation catastrophique a réellement existé, que des milliers de migrants ont vécu dans les camps ces dernières années sans espoir et sans le moindre moyen de survie; de la sorte, Jonathan Nossiter nous propose une réflexion profonde sur les aspects humains de cette réalité douloureuse.
Notons, néanmoins, quelques défauts qui pourraient nous empêcher de rentrer pleinement dans l’univers du film: tout d’abord la lenteur d’ensemble et plus particulièrement lors du deuxième tiers du film, qui comporte des répétitions une fois les protagonistes réunis à Athènes. Ces scènes manquent de dynamisme. Ensuite, Nossiter se laisse aller à quelques détails voyeurs futiles, censés plus ou moins choquer, mais qui s’avèrent perturbants.
Le deuxième point intéressant du scénario concerne l’aspect cinéphilique. Outre son récit futuriste, le film érige la « cinéphilie » en tant que dernier témoignage d’une humanité perdue. Le cinéma et le sujet filmique trouvent ici une dimension mystique (équivalent « des mots sacrés » dans les textes bibliques et coraniques). Rien de tel que la cinémathèque de Bologne, demeure de toutes les pellicules du monde, où Kal découvre un dénommé Shakespeare (Nick Nolte), pour développer cette idée.
Plusieurs sensations sont visitées dans le récit: le désir de revivre la naissance du cinéma, celui de produire de la celluloïde et des caméras comme s’il s’agissait d’une invention nouvelle, le plaisir de diffuser de vieux films -des comédies mythiques comme celles des Monthy Python, des captations de concert, des comédies musicales américaines, etc. -avec un projecteur de fortune – toujours à l’ancienne – pour amuser les personnes les plus désespérées que l’on puisse imaginer… et puis, filmer le quotidien afin de l’immortaliser. Tel un adage: « Je filme donc je suis. »
Dans la deuxième moitié du film, par un effet de mise en abyme, les personnages deviennent à la fois les objets et les sujets de « Apparatus cinématographique ». Nossiter propose ainsi, une réflexion intelligente à rapprocher des théories filmiques développées notamment dans les années 1970 par Louis Althusser, Jean-Louis Baudry ou Christian Metz basées sur les concepts Lacanien de « stade du miroir » qui analysent les mécanismes de la représentation de la réalité et le cinéma en tant qu’institution.
Pour ses qualités narratives et visuelles, pour l’hommage qu’il rend au cinéma, nous comprenons ce pourquoi le comité de sélection du Festival de Cannes a tenu à donner un coup de projecteur à Last Words.