De tous les réalisateurs asiatiques, Hong Sang-Soo est sans aucun doute celui dont le cinéma semble le plus européen, disons-même le plus français. Il y a du Rohmer dans son cinéma, plus encore du Garrel. La faute aux sujets qu’il ausculte de film en film, un homme – son double – et ses errances sentimentales, philosophiques, alcooliques. On cause, on boit, on s’excuse ou fuit, on badine, encore et toujours. S’il ne quitte jamais ce refrain, de film en film – tout comme Garrel ou Rohmer bien avant lui – c’est pour mieux en sonder l’infini: tant de pans abordés, tant d’autres restant à découvrir … Les réponses apportées par les uns les autres ne sont que des éléments, la question hante l’esprit humain par nature; aucune observation, aucune interprétation, aucune explication ne peut en refermer les volets. Le cinéma n’est pas le seul art à toujours revenir au sujet amoureux.
Sang-Soo partage avec Garrel un génie narratif, le sens de la fluidité, il partage avec Rohmer le besoin de toujours interroger sous l’angle philosophique la question du sentiment. Quand il vous parle d’un homme, il vous parle évidemment de lui. Il y puise ses vérités, met à l’écran ses propres doutes et démons, s’en excusant presque. Ses plus grandes erreurs en deviennent plus légères, plus sympathiques, tout comme les angoisses de Woody Allen peuvent nous paraître agréables ou simplement drôles.
Diablement astucieux, malin. Le jour d’après, c’est ce jour qui continue le jour précédent, qui lui même avait un antécédent. Les sempiternelles errances. Le noir et blanc s’impose de fait, pour mieux suspendre le temps. Le cinéma d’Hong Sang-Soo n’a en fait ni temps, ni lieu dans son essence. Il s’agit d’hommes faibles face aux charmes des femmes.
Pourtant, un marqueur subsiste, une vapeur bien coréenne, le soju, aux effets si rapides – Sang-soo dit être profondément inspiré par Le journal d’un curé de campagne de Bresson, la dimension dramatique du roman de Bernanos en moins ! -. Il permet d’effacer les lignes qui s’ajoutent les unes aux autres, le temps passant, offrant l’option Reset, Stop, On recommence ! Ainsi de la leçon de cinéma filée par le professeur Sang-Soo -il fut professeur de cinéma à l’université nationale des Arts de Corée jusqu’en juin 2002- , ainsi de notre plaisir à découvrir chacune de ses nouvelles bluettes.
Le soju permet également dans les films de Sang-Soo de désacraliser la théorie, de proposer un ballet de corps titubants, de provoquer des rencontres, de rentrer dans la confidence, de désinhiber, de rire. Nous sommes très loin d’un accessoire, d’un luxe ou d’un symbole, bien au contraire, le soju propose le liant indispensable à la cuisine de Sang-Soo, il en catalyse l’inspiration, telle une enzyme.
Son cinéma respire la légèreté, la liberté aussi, même les d’ordinaire si peu élégants mouvements de caméras aux allures amateurs (flip flop et autre zoom) présentent un charme manifeste.
Le jour d’après, c’est déjà pour aujourd’hui, et on y reviendra avec plaisir demain.