La première expérience de notre rédaction au festival du moyen-métrage de Brive fut mémorable. Des rencontres, joyeuses et inattendues, entre des cinéastes passionnés, exerçant différents styles, venant de différents horizons cinématographiques, et des cinéphiles – habitués du festival ou non – tout aussi passionnés, nous ont créé, pendant une semaine, des moments riches en découverte. Nous avons décelé, à travers 22 films en compétition, soigneusement choisis par le comité de sélection et présentés à chaque séance par Guilio Casadei le délégué général, et quelques séances hors compétition, non seulement des révélations esthétiquement intéressantes, mais aussi et surtout eu la confirmation que, le moyen-métrage s’avère un format qui laisse beaucoup de place à la liberté de création, un format par ailleurs facilement exploitable, et suffisamment efficace pour raconter une histoire, pour construire un univers.
Chime (45 minutes) le nouveau projet de Kiyoshi Kurosawa, projeté lors d’une séance spéciale, est un parfait exemple de la puissance du moyen-métrage. Dans ce film à la précision visuelle et scénaristique irréprochable, un chef cuisinier au chômage donne des cours dans un atelier de cuisine en attendant de retrouver du travail, lorsque la violence s’installe petit à petit dans son quotidien. La mise en scène, millimétrée, presque clinique, froide, notamment dans l’atelier, s’allie avec un étrange sens de l’humour, une ambivalence improbable entre faire rire et faire peur, pour un résultat aussi beau que surprenant : un film de genre qui n’en est pas un.
Avec La Naissance d’une pierre, notre coup de cœur de cette compétition, la jeune cinéaste suisse Camille Anker propose un road-movie expérimental, dans lequel l’économie des moyens d’expression cinématographique est centrale : très peu de lumière, très peu de dialogue, presque pas de narration ni d’explication. Les scènes, implicites, sombres et taiseuses, tournées principalement dans une voiture, dévoilent à peine les visages des deux personnages principaux : un homme et une femme. C’est à peu près tout ce que nous savons sur eux. La cinéaste, photographe de formation et qui a également étudié le cinéma à l’école d’art de Lausanne (Il s’agit en fait d’un film de fin d’études, produit par l’école), développe ici un goût pour la photographie nocturne, pour des spots clignotants sur une base entièrement noire, un goût pour l’abstraction, pour l’ambiguïté, pour le non-dit, pour le trouble. Nous pouvons simplement imaginer, en s’imprégnant de cette atmosphère austère et angoissante, hyper-réelle jusqu’à ressembler à un mélange de sensations non-identifiables, que ce qui se passe n’est pas normal, que cette passagère clandestine n’a pas le consentement d’être là (encore que cela reste une interprétation subjective). Au-delà de la beauté visuelle très particulière du film, qui rappelle certains films nocturnes de Chantal Akerman, mais aussi rend hommage au cinéma de Philippe Grandrieux (Sombre nous paraît une référence majeure), Naissance d’une pierre présente la grande qualité d’être un film interactif, qui demande l’attention, la participation et l’interprétation du spectateur en permanence. Ce choc esthétique, qui n’a pas pour vocation de laisser comprendre ou de raconter quelque chose mais simplement de faire vivre une expérience, pourrait ne pas plaire à tout le monde mais s’affirme, bouleverse, et laisse des traces.
La présence d’une documentariste aussi expérimentée que Marie Losier dans la compétition du festival de Brive, plus particulièrement après la sortie en salle de Peaches Goes Bananas, son très puissant documentaire sur la chanteuse punk Peaches, semblait prometteuse. Nous avons regardé son nouveau film avec beaucoup d’envie, et nous en sommes sortis relativement déçus. Barking in the Dark est un portrait du collectif d’artistes américain « The Residents », connu pour sa production discographique, ses spectacles de théâtre musical et ses nombreuses vidéos d’art. Réaliser un film sur ce sujet s’avère un grand défi, puisque les membres de « The Residents » avaient fait le choix de vivre dans l’anonymat, et ne dévoilaient ni leurs visages ni leurs identités. Il s’agit donc d’un film-portrait sans portrait. Le film aurait pu combler ce manque avec davantage de chansons ou d’autres productions artistiques, afin de créer un rythme dynamique, et ainsi faire découvrir la qualité du travail de ce collectif, transmettre leur passion pour l’art underground. Hélas, Barking in the Dark se compose en grande partie d’un entretien globalement ennuyeux avec le manager du groupe, ne propose pas de réflexion (esthétique/politique/philosophique) autour de l’œuvre de « The Residents », et s’intéresse que peu finalement à la musique ou aux autres formes artistiques dans leurs processus de création/diffusion.
La Journée qui s’en vient est flambant neuve de Jean-Baptiste Mees, est issu d’un travail technique très précis et précieux avec la pellicule super-8, qui permet d’optimiser la captation de la lumière matinale, de faire ressortir au maximum les couleurs vives, et de donner l’impression familière propre aux très vieux films de famille. Nous pourrions donc y voir un projet nostalgisant, sur la base d’une contemplation méditative des moments quotidiens dans un café/restaurant, passé de mode, à Montréal : des gouttes de café qui coulent dans une cafetière à filtre, le bruit de la préparation de la nourriture, le brouhaha des clients, quelques échanges sympathiques. Cela crée une ambiance lumineuse et agréable, mais plus le film avance, plus le coté comique des situations et des dialogues prend, non sans excès, de l’importance.
Comment ça va? de Caroline Poggi et Jonathan Vinel – duo de cinéastes qui a déjà réalisé plusieurs court-métrages et deux long-métrages (Jessica forever en 2018 et Eat the night en 2024) – est constitué de différents animaux en dessins animés, dans un cadre non-animé, celui de paysages naturels (Etretat, Corse). Une idée qui nous parait très originale et subversive en ce qui concerne la forme, pour raconter une histoire symbolique et politique, tout autant subversive sur le fond. Nous avons particulièrement apprécié les choix musicaux, la puissance de la poésie encrée dans les dialogues, et aussi l’utilisation de la voix d’actrices connues pour les personnages.
Enfin, nous avons vu Les Tremblements, de David Depesseville, un cinéaste affirmé qui revient au moyen-métrage, après un premier long-métrage réussi, Astrakan, en 2022.
Les Tremblements, qui a gagné le grand prix du festival et le prix ciné+, semble à la fois dans la continuité et en rupture avec l’Astrakan: les deux films sont tournés en pellicule 16 mm, dans la même région (La Bourgogne) avec les même paysages ruraux, et rappellent les même références cinématographiques fondamentales: Pialat (La Gueule ouverte pour l’un, L’Enfance nue pour l’autre), Bresson. Mais ici, le récit, particulièrement douloureux, puisqu’il s’agit d’assister à l’agonie d’une mère de famille mourante, est beaucoup plus fragmenté, plus perturbant, moins incarné, moins retenu (le film ne se prive pas de montrer ni les préparatifs du deuil, ni même la mort explicitement), et accompagné d’un texte lu en voix-off par le cinéaste lui-même. Ce texte, d’une qualité littéraire sensible, âpre, qui reflète les sensations de ceux qui survivent et l’expérience qu’ils endurent, sans pour autant entrer dans une analyse psychologique quelconque, mais en proposant un état des lieux à la juste distance, dégage une beauté certes, mais en devient imposante, jusqu’au point d’exiger une grande attention qui empêche le film d’être perçu entièrement.
Dans Les Sièges de L’Alcazar de Luc Moullet (52 minutes, 1989), la cinéphilie devient un attribue discordant qui crée des situations comiques. Le personnage principal, cinéphile et critique au Cahiers du cinéma, sans carte verte (carte presse qui permet la gratuité des places de cinéma), se montre narcissique et trop pingre, tente à tout prix d’acheter ses places le moins cher possible. Snob, fier de sa connaissance approfondie des films du cinéaste italien Vittorio Cottafavi, il fait par ailleurs la rencontre malheureuse d’une critique de cinéma de Positif, la revue concurrente, coiffée comme Joan Crawford dans Johnny Guitare, qui fréquente la même salle régulièrement (ironie d’autant plus marquante qu’à l’époque il existait très peu de femme critique à Positif, il en va de même pour Les Cahiers du cinéma). Quelle parfaite idée de diffuser cette comédie autobiographique (Luc Moullet a été critique aux Cahiers dans les années 1950) en marge du festival, dont quelques punchlines nous font bien rire: « Il existe trois dates clés dans la vie d’un critique: la naissance, la publication de son premier texte, l’obtention de la carte verte » ou « Comme tous les cinéphiles, il avait mauvaise haleine » la première impression amoureuse de ladite critique de positif pour définir le héros de Luc Moullet!
Le jury officiel cette année était composé de Patricia Mazuy (Présidente), Sébastien Betbeder, Agathe Bonitzer, et Jonathan Millet. Nous avons saisi l’occasion pour rencontrer Jonathan Millet pendant le festival et avons discuté avec lui de son parcours, plus particulièrement de son premier long-métrage Les Fantômes qui nous avait impressionné lors de sa projection en ouverture de la Semaine de la Critique 2024: