Elle se demandait si les journalistes allaient écrire : « Les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés. » Nous avons en effet cédé à cette tentation et ne sommes pas les seuls.
L’actrice française Michèle Morgan est morte ce mardi à l’âge de 96 ans, a annoncé sa famille. «Dans sa 97e année, les plus beaux yeux du cinéma se sont fermés définitivement ce matin, le mardi 20 décembre», dit le communiqué de la famille. Une scène en effet avait immortalisé la beauté de ses yeux : celle du film le Quai des brumes, qu’elle a tourné à l’âge de 18 ans sous la direction de Marcel Carné, et où Jean Gabin lui déclare : «T’as de beaux yeux tu sais.»
Depuis, Michèle Morgan avait notamment remporté le prix d’interprétation féminine du tout premier Festival de Cannes, en 1946, pour la Symphonie pastorale de Jean Delannoy, adaptation du roman éponyme d’André Gide.
Une carrière débutée à l’âge de 15 ans suite à un concours de photogénie. 18 ans seulement quand elle tourne le mythique Quai des brumes face à Jean Gabin, qui deviendra son partenaire dans la vraie vie. Ils quittent la France à cause de l’occupation et partent pour Hollywood. Là-bas la romance prend fin. Sa beauté, révérée en France, n’impressionne guère les studios qui lui demandent même de rembourrer son soutien-gorge. Elle tourne cependant avec Humphrey Bogart. Et rencontre celui qui sera son mari, Bill Marchall. Elle revient en France après 4 ans d’exil pour triompher avec La symphonie pastorale.
À Rome, elle découvre la passion. Le réalisateur Alessandro Blasetti l’a fait venir pour le tournage de Fabiola. Elle a pour partenaire Henri Vidal. Ils ne se connaissent quasiment pas. Un an et demi plus tard, le 6 février 1950, ils se marient en secret. Un amour fulgurant. Mais Henri Vidal se drogue. Après maintes cures de désintoxication, il en meurt le 10 décembre 1959, quelques jours après la disparition de Gérard Philippe qui, en 1955, avait été le partenaire de Michèle dans Les Orgueilleux d’Yves Allégret et Les Grandes Manœuvres de René Clair.
Gérard Oury apporte la sérénité dans la vie de Michèle. Ils s’étaient croisés jadis au Cours Simon. En 1949, ils se retrouvent dans La Belle que voilà de Jean-Paul Le Chanois. Michèle et Henri Vidal sont les vedettes. Gérard Oury joue une brute. Il doit embrasser violemment Michèle. Malgré maintes prises, il n’arrive pas à être brutal… Michèle enchaîne film sur film parmi lesquels Le Château de verre de René Clément, avec Jean Marais, et Destinées de Jean Delannoy où elle incarne Jeanne d’Arc.
La nouvelle vague rejette les acteurs en place, trop chers pour de jeunes cinéastes mais aussi trop intimidants. Michèle Morgan est cantonnée dans le cinéma traditionnel: elle est Joséphine de Beauharnais dans le Napoléon de Sacha Guitry, puis Marie-Antoinette dans Si Paris m’était conté du même Guitry. Claude Autant-Lara en fait une étonnante Marguerite de la nuit. Nouvelle rencontre avec Gérard Oury dans Le Miroir à deux faces. Scénariste de ce film dans lequel Michèle joue une femme laide que la chirurgie esthétique transforme en beauté, Gérard Oury s’est réservé un rôle secondaire au côté de Bourvil. Oury devient peu à peu le confident de Michèle.
Après la disparition d’Henri Vidal, leur complicité se resserre d’autant que Gérard Oury est devenu metteur en scène et l’on parle de tandem Morgan-Oury pour Le crime ne paie pas, en 1961, avec, outre Michèle, Danielle Darrieux, Edwige Feuillère et Annie Girardot. Le couple fait partie du tout-Paris mais chacun garde son indépendance. Il vit à Montmartre, elle, à Neuilly. Elle tourne d’excellents films, comme Landru de Chabrol, en 1962, ou Benjamin de Michel Deville, en 1967.
Après un long passage à vide de dix années, c’est Claude Lelouch qui la fait revenir à l’écran dans Le Chat et la Souris. Marraine du 50e Festival de Cannes, en 1996 et lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à Venise, Michèle Morgan est revenue en 1997 devant une caméra. C’était pour un téléfilm de France 2, Pour faire plaisir à maman, écrit par Danièle Thompson, fille de Gérard Oury.