Quand Isabelle Adjani parle d’Isabelle Adjani
SES DEBUTS D’ACTRICE
« En 1969, les assistants de Bernard Toublanc-Michel courent la banlieue pour un rôle dans Le Petit Bougnat. Mon professeur de français leur conseille de m’auditionner, mes parents donnent leur autorisation, je suis prise. Enfin, il se passait quelque chose dans ma vie, l’été même où on marchait sur la Lune. Après, j’ai essayé et raté en douce le Conservatoire. Je commençais à avoir une vraie tension en moi. Robert Hossein m’a proposé de venir jouer à Reims tout en continuant à aller au lycée le matin, mes parents ont accepté. J’étais bonne élève, sérieuse. Tout est allé très vite, L’Ecole des femmes et Ondine à la Comédie-Française en 1973, L’Histoire d’Adèle H., avec François Truffaut, en 1975… »
SON RAPPORT A L’IMAGE
« Accepter mon image aussi, mon corps, n’a pas été facile. Il n’y avait pas de miroir en pied à la maison, et dès que je restais dix minutes dans la salle de bains mon père criait : « Tu salis la glace ! »
J’ai grandi dans une culture où la féminité est occultée sous peine d’être accusée d’impudeur. Il m’a fallu un jour décider d’être belle parce qu’on ne m’a jamais dit que je pouvais être jolie. Mon rapport au corps aussi, mon puritanisme m’ont joué de sales tours. J’ai refusé Cet obscur objet du désir, de Luis Buñuel, à cause des scènes de nu, et je n’ai accepté – au bout d’un an ! – L’Eté meurtrier que parce que Jean Becker allait engager quelqu’un d’autre : du coup je suis revenue en quémandeuse et j’ai été payée des clopinettes !
Quand je ne tourne pas – je tourne si peu, je suis si paresseuse -, je ne m’intéresse pas à moi. Je suis du genre maternelle et maternante, enveloppante et enveloppée. J’aime faire les courses, aller choisir les légumes dans les magasins bio. Si je n’étais pas actrice, je ne mettrais même pas de crème de beauté. Mais s’autoriser à paraître, puis disparaître, oblige à des soins. On voit moins vieillir une comédienne qui ne quitte pas l’écran. »
SES PARENTS
« Mes parents, que j’adorais, voulaient se construire un monde neuf, ils n’étaient pas dans la nostalgie.
Mon père, kabyle, s’était engagé dans l’armée française à 16 ans, et c’est en remontant d’Italie jusqu’en Bavière à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’il rencontre et séduit ma mère, qui abandonne pour lui ses deux jeunes enfants. Par passion. Peut-être mon père l’aurait-il tuée si elle ne l’avait pas fait.
L’allemand fut ma langue maternelle jusqu’à la préadolescence. Après, j’ai obligé ma mère à parler français, je voulais être comme les autres… Sans la joie de vivre de ma mère, je n’aurais pas pu faire ce métier ; elle incarnait aussi mon imaginaire romantique, la Bavière, où nous allions en vacances, les châteaux de Louis II, Goethe… et son amour fou pour cet homme si secret, si violent qu’était mon père. Il avait voulu être médecin, adorait la littérature, parlait un français admirable, et s’était retrouvé garagiste en banlieue. Malheureux, fermé sur lui-même.
J’ai tellement voulu le rendre heureux en me pliant à la loi qu’il nous imposait pour nous intégrer : ne rien dire à l’extérieur de ce qui se passait à la maison et y rester confinée. Ce que les gens pensaient comptait tellement.
Vouloir sortir mon père de son chagrin était à ce prix : accepter d’être dominée par une autorité sans appel. Il nous punissait même quand nous étions malades, mon jeune frère et moi.
Etait-ce sa culture qui lui imposait cette intransigeance ? Avait-il un secret ? Je n’ai jamais su. Mais j’ai dû me faire une violence folle, ensuite, pour aller vers l’extérieur sans avoir l’impression de le trahir, pour faire des interviews, même, sans sangloter. Quinze ans, déjà, d’analyse derrière moi ! »
FRANCOIS TRUFFAUT
« Truffaut est le premier à m’avoir enseigné à ne pas avoir de culpabilité par rapport à la facilité des choses. Il avait beaucoup insisté pour que j’interprète Adèle. Je n’avais pas envie à l’époque de quitter le Français, je me trouvais trop jeune pour le rôle, je lui disais : « Prenez donc Glenda Jackson ! » Il me répondait : « Mais c’est moi qui décide pour mon film, mademoiselle ! » Il m’a adressé tant de lettres dans le HLM de Gennevilliers où je vivais avec mes parents, envoyé tant de fleurs, et cette édition originale des Hauts de Hurlevent, que je n’ai pu résister ! A 17 ans, j’entretenais mes parents, mon père malade, qui avait dû cesser de travailler et qui le vivait mal : c’était au fils d’entretenir sa famille. Dans l’immeuble, je ne cessais d’ailleurs de recevoir des lettres anonymes dégradantes auxquelles mon père, mystérieusement, donnait raison. D’être si seule et à la merci des choses, je me fermai. Pour me libérer, j’étais condamnée à la violence. »
Il m’a débarrassée de mes questionnements inutiles, de mes concentrations vaines. Je croyais qu’il fallait jouer tout le film à chaque scène, il me disait qu’il s’agissait juste de déposer à chaque scène une petite pierre de ce film… Quand je l’interrogeais – constamment – sur le personnage, il n’indiquait que des gestes. Particulièrement exaspéré lors d’une séquence à la banque, il m’avait même devancée : « Vous voulez savoir pourquoi Adèle va à la banque ? Eh bien, elle a besoin d’argent ! »
ISABELLE HUPPERT :
« Notre approche du travail est différente. Je revendique avec mes personnages une empathie qui dégoûte Isabelle, plus portée à la distance, au recul, à en croire ses interviews. Je me laisse, moi, traverser par le rôle dans un état d’urgence et de nécessité ; c’est la déconstruction qui me tient verticale, pas la construction. Et puis je suis loin d’avoir sa filmographie. J’ai fait si peu de choses. Logiquement je ne devrais même pas être au box-office ! »
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