Auteur Sujet: Noce Blanche  (Lu 24959 fois)

Hors ligne Gilda

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Noce Blanche
« le: janvier 21, 2014, 12:05:56 am »
Noce Blanche est vraiment l'un de mes films préférés de tous les temps.

Suite à une diffusion Arte, la chaîne a interviewé son réalisateur, Jean-Claude Brisseau (lien : http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2014/01/08/noce-blanche-entretien-avec-jean-claude-brisseau/ ) :

NOCE BLANCHE : ENTRETIEN AVEC JEAN-CLAUDE BRISSEAU



ARTE diffuse ce soir à 20h50 l’un des plus beaux films du cinéma d’auteur français contemporain. Noce blanche, malgré la gravité de ses thèmes, la complexité des concepts abordés, obtint un immense succès populaire en 1989 et Vanessa Paradis, alors considérée comme une petite chanteuse idiote, se révéla sous la direction de Jean-Claude Brisseau une excellente actrice de cinéma. Noce blanche, histoire d’un amour impossible, propose comme tous les autres films de Brisseau une interrogation sur le sens de la vie, en émotions et en actes. Un professeur de philosophie guetté par l’ennui et la solitude, malgré sa réussite professionnelle et sentimentale, tombe sous le charme d’une jeune lycéenne brillante mais en situation d’échec scolaire en raison d’une existence désordonnée et d’un passé mystérieux. Elle représente son double apparu sous la forme d’un ange exterminateur, et il va passer à côté de la chance que lui offre le Destin, par peur. Il faut revoir ce film magnifique qui éclaire comme un astre noir les films suivants réalisés par Brisseau et qui furent souvent moins compris et mois aimés, à tort, au moment de leurs sorties : Céline, L’Ange noir, Les Savates du bon dieu, Choses secrètes, Les Anges exterminateurs, A l’aventure, La Fille de nulle part.

La diffusion de Noce blanche sur ARTE nous a donné envie de poser quelques questions à Jean-Claude Brisseau sur ce film et de discuter avec lui de ses intentions, son style et ses méthodes de travail.



Dans quelles circonstances as-tu écrit Noce blanche, ton troisième long métrage professionnel ?

Ce film était à l’origine une commande de La Sept (ancien nom d’ARTE entre 1986 et 1992, ndr) qui m’avait demandé une histoire d’amour impossible qui ne coûte pas cher. Mais personne ne voulait de mon projet. Entretemps mon film précédent De bruit et de fureur est très remarqué au Festival de Cannes. Tout le monde change d’avis et Noce blanche obtient l’Avance sur recettes et les Films du Losange décident de le coproduire. Je pensais que Noce blanche serait un désastre commercial et ça a été le plus gros succès de l’année 1989. Le film a aussi très bien marché à l’étranger.

Quelles questions t’es-tu posé au moment de l’écriture du film ?

J’avais une grosse contrainte. L’idée d’un film sur un amour impossible posait problème. Nous étions encore dans l’après 68 où il était interdit d’interdire. Les interdits légitimes pour les personnages et pour le public n’étaient pas forcement très nombreux. J’ai choisi le cadre d’un lycée pour deux raisons : d’abord je ne voulais pas situer l’histoire dans un collège car je ne voulais pas parler de pédophilie. Je voulais que le personnage de Mathilde soit une jeune fille désirable, pas une enfant. Je ne pouvais pas non plus raconter la liaison d’un prof de fac et d’une étudiante, car cela n’aurait choqué personne.

Ensuite en tant qu’ancien prof je connaissais par cœur la vie scolaire et je savais que j’étais capable de tourner à toute vitesse – après une bonne préparation – un film dans un lycée. Bruno Cremer n’avait jamais joué de rôle de professeur. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à me regarder diriger les élèves, et copier sur moi, car j’allais leur parler exactement comme quand j’étais prof. Du coup, beaucoup de gens ont pensé que je voulais raconter ma propre histoire, ce qui n’était pas du tout le cas.



On a d’ailleurs le droit de penser que tu es plus proche du personnage de Mathilde (Vanessa Paradis) que de celui de François (Bruno Cremer)…

Ce n’est pas faux, même si je ne suis pas une jeune fille de dix-sept ans ! Il y a deux dialogues importants dans le film. Le premier est quand ils sont en train de discuter dans le restaurant. Il lui dit que le désespoir est une forme d’orgueil déguisé. Et la gamine lui répond : « je ne sais pas si le désespoir c’est de l’orgueil, mais en attendant quand on l’a attrapé ça fait drôlement mal. »

Je m’étais posé la question du montage de cette scène. J’avais un plan d’ensemble mais j’ai préféré faire un champ contre champ, parce que quand Vanessa Paradis prononce cette phrase il fallait mieux qu’elle soit totalement isolée et seule dans le plan, d’autant plus qu’elle joue très bien. Et Cremer en train de l’observer est très bien aussi.

L’autre dialogue important, c’est quand François dit à Mathilde : « Il est rare de rencontrer une fille de votre âge aussi désenchantée. J’allais dire lucide. » C’est juste après qu’elle lui ait dit qu’elle l’aime bien parce qu’il est un mec tout seul, comme elle. C’est la scène où l’on comprend que François a rencontré sur son double, et que les deux personnages sont très proches l’un de l’autre.

Dans Noce blanche comme dans tous tes films l’idée de la rencontre est primordiale. Le film parle d’un amour impossible, mais aussi de la quête de l’absolu.

Il y a quelque chose d’autre que je formulerais différemment. La grande thématique de mes films c’est l’espoir d’échapper à la souffrance. La réflexion nous apprend que la souffrance provient de notre attachement aux êtres que nous aimons, ou à une carrière, ou à un drapeau. On souffre à partir du moment où l’objet de notre désir ou de notre attachement disparaît. Au point qu’on m’a dit un jour que j’avais du faire un fantasme d’abandon, ce qui n’est pas faux. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai souvent mis des éléments érotiques dans mes films. Je sais que la pire souffrance qu’on puisse imaginer est la disparition d’un enfant pour ses parents et sa mère en particulier. Mais je n’ai pas d’enfant et c’est pour cela que j’ai choisi de traiter de l’attachement physique.

On touche à une certaine forme de mysticisme. Le bonheur ne serait possible qu’après un détachement absolu des choses terrestres et matérielles…

C’est ce que j’ai tendance à penser. Ce n’est pas si facile que cela même si des gens semblent y être arrivés.



La psychanalyse occupe également une place centrale dans Noce blanche.

L’idée de l’inconscient est importante chez la gamine mais aussi chez le professeur. Elle est prisonnière de l’influence de sa mère qu’elle rejette et qu’elle déteste, et fait un transfert sur son professeur qui a l’âge de son père. Le professeur vit sans s’en rendre compte dans une prison dorée et tombe amoureux malgré lui de la jeune fille. La psychanalyse est partout dans le film, comme le souligne l’exposé que Mathilde fait en classe sur l’inconscient.

Le personnage de Véronique Silver qui est le témoin d’une passion destructrice est-il un clin d’œil au rôle similaire que l’actrice tenait dans La Femme d’à côté de François Truffaut ?

Oui et non. Au départ le rôle était écrit pour un homme et Bruno Cremer m’en a beaucoup voulu d’avoir procédé à ce changement. J’ai rencontré Véronique Silver. J’aimais beaucoup les premiers films de Truffaut, en particulier Tirez sur le pianiste et moins les suivants. Mais j’avais été très impressionné par La Femme d’à côté et c’est pour cela que j’ai transformé le rôle pour Véronique Silver. Cremer était mal à l’aise car il aurait préféré que son personnage puisse avoir un homme comme confident plutôt qu’une femme. Cela nous a obligé à couper certaines scènes.



Il y a une présence forte et importante de la nature dans ce film comme dans presque tous tes films, même si Noce blanche se déroule dans une ville. Tu avais choisi Saint-Etienne pour cette raison ?

Non. Le scénario avait été écrit pour Paris et je ne l’ai jamais transformé. Au départ la scène de leur rencontre ne se passait pas sous un abribus mais à la station de métro Rome près du lycée Chaptal où j’ai passé sept ans de ma vie. Puis je me suis dit que ce serait mieux de raconter cette histoire dans une petite ville de province où tout le monde se connaît et où l’idée de scandale est plus forte qu’à Paris. Au moment de la promotion de De bruit et de fureur à Saint-Etienne j’ai rencontré un directeur de lycée qui était d’accord pour qu’on tourne dans son établissement et j’ai pensé qu’une ville entourée de montagnes pouvait être intéressante. Il est vrai que la nature joue un rôle important dans mes films. il y a même une critique qui m’a dit un jour que je filmais les paysages comme un corps féminin, ce qui n’est pas entièrement faux, mais pas entièrement vrai non plus.

Comment définirais-tu l’esthétique de Noce blanche ?

Quand je fais un film je ne m’occupe jamais de l’esthétique du moment, car j’ai trop vu des films qui vieillissent très vite pour avoir voulu suivre la mode. Toutes proportions gardées je voulais sur Noce blanche utiliser des choses qui m’avaient marquées dans Les Dames du bois de Boulogne. Quand j’avais vu le film de Robert Bresson qui met aussi en scène des personnages prisonniers d’eux-mêmes et de leurs sentiments, j’avais remarqué une utilisation des portes et de la lumière extérieure. J’ai essayé de faire quelque chose du même ordre avec l’idée d’un personnage toujours enfermé dans son monde et d’une lumière qui vient toujours de l’extérieur. Je voulais impérativement qu’on sente l’ombre et la lumière. Quand on a tourné la première séquence du film, dans la salle de classe, j’étais furieux parce qu’on avait fait repeindre la pièce sans m’en informer. La lumière était devenue uniforme, ce qui m’a obligé d’intervertir au dernier moment toute la mise en scène que j’avais préparée avec mon directeur de la photographie Romain Winding, sans que personne ne s’en rendre compte.



Avec Noce blanche tu avais réussi le mariage entre des thèmes exigeants et complexes et les émotions des spectateurs…

J’aurai aimé faire davantage de films populaires ! Je voulais écrire le scénario le plus simple possible. Je me suis arrangé pour que le contenu philosophique ne soit pas souligné par quatre traits de crayon et que le grand public puisse voir Noce blanche comme un mélo. Et le film continue de faire pleurer aujourd’hui. Mon oncle qui était un grand amateur d’art lyrique m’a dit un jour que l’opéra le plus populaire, « La Traviata », raconte l’histoire d’une prostituée qui se sacrifie par amour. Sans m’en rendre compte j’avais raconté la même chose dans Noce blanche.

Propos recueillis le 20 décembre 2013 à Paris. Remerciements à Jean-Claude Brisseau.


Jean-Claude Brisseau
« Modifié: janvier 21, 2014, 12:28:41 am par Gilda »



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Re : Noce Blanche
« Réponse #1 le: janvier 23, 2014, 04:50:12 am »
Grâce à cette interview je viens de faire le lien entre 2 de mes films préférés : La femme d'à côté de Truffaut et Noce blanche de Brisseau, je ne connaissais pas de nom Véronique Silver (ma cinéphilie a ses limites) et je n'avais jamais fait le rapprochement physique entre celle que je vois narrer l'histoire dans le Truffaut et celle de la proviseure dans le Brisseau :

Dans la femme d'à côté (1981):



Dans Noce blanche (1989) :



Paradoxalement elle fait plus jeune dans Noces blanches que dans le Truffaut, tourné 8 ans plus tôt... :o

 

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