J'ai cité Bilal en exemple parce que ma déception est à la hauteur de l'admiration que je lui porte, mais toutes les adaptations cinématographiques de mes héros de papier favoris, qu'ils soient dessinés ou humains, m'ont déçu. Concernant Bilal je garde la nostalgie de l'époque de sa collaboration avec Pierre Christin. Sans rien enlever à la qualité artistique de l'oeuvre naturellement, les scénarios se sont quelque peu appauvris au fil des albums.
A mes yeux, l'animation au cinéma et la BD sont deux univers totalement différents qui n'ont en commun que "le trait" pour la forme et la narration pour le fond. Evoquer le trait, c'est déjà exclure la 3D dans sa forme finale que je considère comme un genre à part, avec des personnages qui lui appartiennent, c'est-à-dire adaptés à la troisième dimension (il n'y a qu'à voir leurs têtes) et comme je m'y essaye moi-même en amateur je ne vais pas cracher dessus. Aussi quand je vois ce que Spielberg, grand admirateur d'Hergé qui a mis des années à concrétiser son projet d'adaptation, a fait de Tintin, je dis que c'est une insulte faite à l'homme et un sacrilège fait au mythe. Passons.
Ceux qui voient comme un handicap le fait de traiter le mouvement sur le mode de la fixité ne comprennent rien à la BD puisque c'est précisément là que réside tout son art et qui en fait un genre incompatible, selon moi, avec l'image animée. Face à sa planche, "le réalisateur" n'a pas droit à l'erreur dans le choix de l'Image qui doit être la synthèse parfaite de dizaines d'autres. A cette image fixe qui fige définitivement un espace-temps s'ajoute l'image muette où les personnages s'expriment par phylactères interposés et où les sons sont traduits par onomatopées, l'une et l'autre participent du jeu et de la magie, d'un accord implicitement passé avec le lecteur. La BD c'est aussi l'unité du strip qui quadrille la page en une lecture non linéaire et l'espace inter-vignettes qui, combiné avec les marges, laisse la part belle à l'imagination du lecteur, ce que l'on pourrait assimiler au hors-champ de la caméra, sauf que dans le cas de la BD il s'impose à notre regard en permanence et qu'il nous appartient de combler les vides. Le lecteur de BD n'est pas le spectateur passif du cinéma. Pour le second le travail de réflexion (à supposer qu'il y en ait un) se fait après ; pour le premier, il se fait pendant l'instant. En BD, c'est le lecteur qui pratique l'art délicat du raccord... Pour conclure mon point de vue (et finir d'embêter tout le monde), c'est exactement l'opposé du mode cinématographique et qu'il s'agisse d'animer des images fixées sur le papier ou d'adapter l'univers d'un dessinateur incarné par des acteurs à l'écran, c'est la même chose. Encore une fois, il y a incompatibilité des genres.
Et puisqu'au départ il était question de "Lulu femme nue", il est programmé dans nos murs le mois prochain. Nous avons actuellement un festival qui nous bride dans notre programmation hebdomadaire et l'absence de la principale intéressée n'arrange pas les choses. Mais il en est du cinéma comme partout ailleurs : un maximum de charges pour un minimum de personnel (fin de la parenthèse).