Chez Lynch, la thématique de la blonde et de la brune se rattache aux clichés de genres, en l'occurence le polar. Mais quand Lynch s'empare des clichés (et "Lost Highway" en a son lot), c'est évidemment dans le but de les détourner. La démarche n'est cependant pas la même dans "Lost Highway" et "Mulholland Drive", d'autant que dans le premier la double identité est interprétée par la même actrice. Dans MD, on reconnaît les deux visages de la star féminine définie par les codes du cinéma hollywoodien : l'ingénue et la femme fatale, mais il y a déjà subversion lorsque le personnage joué par Laura Elena Harring emprunte l'identité de celle dont elle est le duplicata, à savoir Rita Hayworth pour ceux qui n'ont pas vu le film. Il s'agit bien ici des deux facettes d'un même personnage, la star, et le jeu de la perruque ne fait que renforcer cette idée d'images interchangeables. Dans "Lost Highway", si Alice répond bien aux stéréotypes de la femme fatale, au moins en apparence, Renée n'a rien d'une ingénue. Cette fois, il y a opposition des deux personnages. Renée incarne le quotidien du héros où le désir a disparu, Alice est la femme fantasmée, elle appartient de droit à un univers de fiction, celui du film noir (la seconde partie du film évoque les années 50 alors que le genre était encore à la mode). D'un point de vue esthétique, elle est idéalisée, filmée de façon surréaliste dès sa première apparition, alors que la pauvre Renée se balade d'emblée en peignoir dans un décor spartiate. En ce sens "Lost Highway" se rapproche de "Vertigo", on pense immédiatement à l'opposition Madeleine/Judy (le film lorgne aussi du côté de "Fenêtre sur cour" avec le découpage du cadavre de Renée et de "Psychose" par la double personnalité du héros, mais si on doit y chercher des références, on n'a pas fini...).
Maintenant, si je peux me permettre, ne regarder que la première partie de "Mulholland Drive" n'a pas de sens, et c'est même justement priver le film de son sens (si tant est qu'on peut lui en trouver un). C'est se priver aussi de la performance d'actrice de Naomi Watts qui tient principalement dans l'opposition des deux rôles qu'elle interprète, et c'est dans la seconde partie du film qu'elle donne la juste mesure de son talent. Et sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, je ne vois rien de "glauque" dans la dernière demi-heure du film. L'image de Diane prostrée sur son canapé fixant d'un air hagard la clé bleue posée sur la table basse est-elle plus traumatisante que celle de Norman en état de prostration lui aussi et les yeux hallucinés, complètement possédé par sa mère à la fin de "Psychose" ? Question de sensibilité personnelle, sans doute. Par exemple, dans "Sailor et Lula" il y a une scène qui me met mal à l'aise, c'est celle de l'accident de la route. Peut-être parce qu'à l'inverse de ceux avec qui j'ai parlé du film, je la trouve parfaitement réaliste. C'est le genre de comportement qui peut effectivement découler d'un traumatisme aussi violent qu'un accident de voiture. Il y a décrochage total de la réalité. La conscience en état de choc, la censure se relâche et seul l'inconscient semble encore gouverner nos actes, laissant libre cours à nos pulsions. Cette morte-vivante qui cherche sa brosse à cheveux et s'inquiète de savoir où sont passées ses cartes de crédit, c'est une ultime manifestation de la pulsion de vie dans tout ce qu'elle peut avoir de plus dérisoire et ça rend cette scène particulièrement poignante à mes yeux.