Le nombrilisme du cinéma français me fascine presque autant que sa prétention à être le meilleur au monde dans sa catégorie, le film d'auteur. C'est chaque fois la même chose. Dès qu'un festival se présente quelque part dans le monde, il va de soi qu'on va décrocher la palme ou le premier prix du meilleur film étranger, à croire que c'est là l'unique but à quoi tendent les auteurs plutôt que de remplir les salles. Je ne suis donc pas plus surpris que ça de voir aujourd'hui La Vie d'Adèle, dont les médias n'ont cessé de nous vanter les extraordinaires qualités depuis une semaine, se ramasser une gamelle. Ce n'est pas que les jury se suivent et ne se ressemblent pas, c'est qu'ils n'ont pas en charge les mêmes intérêts d'un continent à l'autre. Relativisons donc cet échec au Golden Globe, mais reconnaissons quand même que ce n'est que justice, et je me plais aujourd'hui à imaginer la tête que tire tout ce petit monde après s'être donné tant de mal pour faire parler de lui. Quand une comédienne issue d'un milieu privilégié se plaint des conditions de tournage de son film, je me demande ce qu'elle dirait si elle devait se tirer 8 heures par jour derrière la caisse d'une grande surface pour un salaire de misère. Et quand une autre dit regretter les scènes de sexe alors qu'elle accepte en toute connaissance de cause un rôle de lesbienne, je me dis qu'il y a des coups de pieds au cul qui se perdent.
Peut-on s'essayer à défendre le cinéma français sans être accusé de snobisme ? Ou plus exactement à défendre le cinéma français dans ce qu'il a de plus artistique, c'est à dire du côté des avant- gardistes, des esthètes, des penseurs, (nul besoin de les citer, ils existaient avant la nouvelle vague, ont eu une apogée internationale avec la nouvelle vague et perdure contre vents, marées et dogmes) et non des faiseurs d'histoire éculés ?
Car oui, la production française continue d'accorder une place à des artistes, et cette oeuvre La vie D'Adèle, car il s'agit réellement de son chef d'oeuvre, critiquable quant à sa gestion humaine, mais aucunement critiquable sur le plan artistique, tant cette oeuvre renferme en elle une puissance émotionnelle qui jaillit, rejaillit, imprègne.
Doit-on rappeler que le cinéma est une invention française, des frères Lumière, et si l'industrie Cinéma existe bien en france, et quoi qu'elle génère un nombre important de films dits d'auteurs, dont la prétention n'égale que la longueur des plaintes nombrilistes, il n'en reste pas moins que cette même industrie accorde une place à des oeuvres osées.
Kechiche invente, propose, quand d'autres font.
Carax ose.
Eustache a explosé les codes.
Godard a révolutionné la narration, et a brillé de son regard.
Pialat provoquait, et ses meilleures oeuvres ne sont pas, à mon goût en tout cas, celles qui parlent de lui directement, ses chroniques familiales, mais bien Sous le Soleil de Satan, une oeuvre inclassable.
Dumont radicalise la pensée chrétienne et l'interroge.
Pour ne citer que quelques grands (je ne plaçais pas Kechiche, avant La vie D'Adèle, dans cette catégorie).
Leurs différents projets auraient-ils pu voir le jour sans un traitement exceptionnelle, sans une carte blanche accordée ?
Les producteurs français ont cet avantage par rapport aux producteurs américains pour commencer, mais aussi par rapport à d'autres, de garder une place important à la liberté, même si la tendance est de toujours vouloir réduire les coûts.
Carax avait défrayé la chronique avec ses amants du pont neuf, film le plus cher du cinéma français à l'époque à 120 Millions de francs. Chère, très chère poésie. Combien de blockbusters ou même de navets français ont depuis été produits pour des sommes bien plus importantes ? Même un film comme populaire, en ceci mal nommé, coûte plus cher ...
Bon je m'égare, mais je veux juste dire qu'il est important de défendre un cinéma à prétention artistique, qu'il soit français ou autre, (les français produisent Haneke, Lynch, Polanski, ...)
Ces auteurs là, n'auraient pas leur place dans une industrie purement accrochée au résultat financier, aux nombres d'entrée en salle.
Alors oui il y a une exception culturelle française, comme il existe un art de vivre Italien.
Et cela ne doit pas empêcher, en quoi cela serait-il paradoxal, d'aimer par ailleurs un film grand spectacle tel La guerre des étoiles, fondement des blockbusters.
Il y a la place pour tous les styles. Pourquoi accuser Kechiche d'avoir été récompensé parce qu'il était français ?
Car, si on en revient à la vie D'Adèle, ce film est juste puissant, et il le doit en grande partie aux choix de plans, à la radicalité de Kechiche qui concentre les émotions sur un visage. Le cinéma est l'art des images, les messages passent (ou sont latents) dans les images. Adèle Exarchopoulos excelle sous la caméra de Kechiche, et il est fort à parier qu'elle n'excellera plus jamais de la sorte.
Elle pleure à l'image, car elle pleure réellement.
Cette vérité rejaillit.
Elle nous émeut.
Et, si nombre de réalisateurs sont des tyrans, qui n'ont pas peur de recourir à des pratiques que l'on pourrait qualifier de torture pour obtenir de leurs acteurs une larme, une violence, un sentiment, tous n'y parviennent pas avec cette force que l'on note dans la vie d'Adèle.
...
Et Dieu sait que pourtant que je m'étais ennuyé pendant Le Couscous et l'Anon.