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TONI ERDMANN un cinéma puissant et humain !

Mis à jour le 5 février, 2017

Tony Erdmann, cette année en compétition à Cannes, était incontestablement notre coup de cœur pour ne pas dire notre palme d’or. La cinéaste allemande Maren Ade se livre à un exercice conceptuel habile et réussi, à la mise en scène puissante. Elle entre sans conteste avec ce film dans la liste des réalisateurs qui comptent, de ceux qui participent à l’art cinéma, quelque part entre Lars Von Trier et Michael Haneke. 

Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse? », son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l’aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann…

3h qui ne paraissent pas

Tony Erdmann dure 2h42. Certains pourront s’en effrayer et passer leur chemin sur ce seul critère. Plus essentielle à nos yeux que la question du contenant, se pose celle du contenu et du rythme choisi pour le faire apprécier. Car ces presque 3 heures s’avèrent des plus utiles, des plus nécessaires pour nourrir le propos d’une part, et l’acérer d’autre part. Pour exprimer son point de vu philosophique et sociétale, pour ne pas dire politique, Maren Ade  requière un temps d’exposition certain: il s’agit de frapper fort, de faire ressortir une à une chacune des couleurs, pour que peu à peu, et avec émerveillement, le négatif puisse laisser la place à une image des plus artistique, mais aussi de saisir un instant vérité.

Les effets de contraste scénaristiques originels – qui auraient pu être empruntés à Weber – sont souvent propices aux rires, parfois même très appuyés. Passer 3 heures à rire et à réfléchir ne vaut-il mieux pas que de passer 1h27 à s’assoupir ?

Une critique virulente

Ceci-dit, cette dimension n’est pas celle qui aura le plus retenu notre attention. Avant toute chose, Maren Ade possède une qualité rare, propre aux auteurs, le sens aiguisé de l’observation. Elle opte pour une critique virulente d’une société rouleau-compresseur, vendeuse de promesses d’un avenir meilleur au prix d’un présent oublié. Elle ne se contente pas de rendre du compte du présent, elle l’interroge, à une époque où s’interroger est presque devenu interdit, devant la nécessité de l’action, la force de la réaction, la perte d’horizon, l’impossibilité de l’orientation, et le grand théâtre de l’immédiateté.

Toute la violence des échanges professionnels, tous les ravages du contrôle imposé de son image, tout ce qui nous déshumanise est raillé de la plus belle des façons, par un effet miroir des plus réussi. La réflexion est métaphorique, le clown n’est pas forcément où l’on pense, le ridicule peut se retourner contre ceux qui en définissent les codes. Répéter des tâches, aussi valorisées soient-elles, à les croire valorisantes, ne peut suffire à remplir une existence. 

L’art et la manière

Maren Ade  expose un sujet qui volontairement laisse place à un  non dit signifiant, essentiel, porteur d’universalité. Exprimer ce que l’on ressent peut parfois être difficile. Maren Ade excelle dans la provocation, son film n’est ni plus ni moins qu’une petite bombe évidente, un pavé dans une marre dans laquelle la plupart patauge, dans laquelle on nous demande de patauger. Du cinéma pour choquer les bourgeois pourrait-on même dire ! Remarquablement intelligent, Tony Erdmann propose ce qu’aucun autre film en compétition à Cannes ne proposait, une profondeur manifeste et une vraie audace. Très humain, le film interroge en permanence par ce qu’il met en lumière. Les bonnes idées se succèdent. Parmi celles-ci, il nous semble que Tony Erdmann invente une figure de style nouvelle, à l’effet aussi efficace qu’une mise en abîme, cousine également de celle (sans nom ?) utilisée par Doistoievski – L‘idiot, PasoliniThéorème ou encore Van Warmerdam, Borgman,  qui consiste à ce que l’élément perturbateur, l’anti-héros, par sa présence, soit porteur d’un message universel, qui vienne briser les codes et certitudes.

Brillant. 

 

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