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Isabelle Adjani : la scéance photo par Hervé Guibert

Mis à jour le 8 mars, 2017

Isabelle Adjani a parlé de sa relation très forte avec Hervé Guibert mais aussi des photos qu’il prit d’elle :

« J’ai rencontré Hervé à la rédaction du journal 20 Ans, au tout début de ma carrière, au milieu des années 70 dans les locaux Filipacchi sur les Champs. La directrice du journal, Agathe Godard, avait organisé une séance photo pour la couverture avec moi, prise par Jean-Marie Périer.
J’y allais pour voir ce projet de couverture et derrière Agathe Godard, qui était une femme d’autorité, très virile, phallique, il y avait un homme, blond et bouclé comme un ange, incroyablement jeune, et qui commençait à écrire dans le journal. Agathe Godard m’a montré la couve et c’était atroce! (rires) Mais atroce!
On m’avait fringuée avec un truc bleu, blanc, rouge : j’avais le sourire d’une idiote… Vraiment, un truc à faire honte! Mais j’ai senti chez ce jeune homme comme un regard de complicité. Il m’a vue penser sans rien dire la même chose que lui. Je l’ai vu comprendre ce que je ressentais. Il m’a paru incroyablement beau, d’une timidité élégante, avec une façon très attirante de parler ou de ne pas parler. Nous avions le même âge, à peine vingt ans.
Quelques mois plus tard, je suis partie à Amsterdam pour le tournage de Barocco, et Hervé est venu faire un reportage. Nous mangions tous les jours des pinces de crabe dans des chinois dégueulasses sur les canaux de la ville. Je lui parlais tout le temps, de choses très personnelles. Je n’ai jamais bien compris pourquoi j’avais autant envie de lui parler, de lui dire autant de choses sur moi. J’étais toujours étonnée de l’intensité avec laquelle il m’écoutait. Mais assez vite, lui aussi s’est mis à parler. De ses tantes, de ses parents, de sa vie personnelle aussi. Il incarnait, organiquement, des choses que j’avais pu lire chez Bataille. Il y avait quelque chose en lui de très troublant, d’ambivalent… Et puis j’aimais beaucoup son écriture. Cette façon très concise d’exprimer des choses violentes, la puissance de déflagration avec laquelle il s’exprimait.

Au début des années 80, nous sommes devenus très proches. On se voyait tout le temps, on dînait à trois avec Bruno Nuytten. Ma relation avec Bruno le fascinait beaucoup. Il me prenait en photo, je faisais tout ce qu’il voulait. Une fois, il m’a dit qu’il était allé vendre toutes les photos qu’il avait de moi à Paris Match. Je ne lui ai pas reproché. Alors il est retourné à Paris Match pour les reprendre. Il avait changé d’avis, ce qui lui arrivait souvent (rires). Je lui parlais beaucoup de mes projets, il me conseillait, j’avais besoin de son opinion, de son regard. Il faut dire qu’à l’époque, le producteur Daniel Toscan du Plantier dirigeait la Gaumont et il voulait faire de sa maîtresse, Isabelle Huppert, la titulaire de tous les projets du cinéma français. Hervé assistait à mon incrédulité devant cette situation. Alors il a écrit sans me le dire un scénario sur une actrice, inspirée par moi, qui se trouvait blacklistée par des gens de pouvoir. Son projet décrivait aussi ma relation avec Bruno. C’était l’histoire d’une carrière contrariée doublée d’un amour, qu’il avait à la fois romantisée et brutalisée. Le scénario s’est d’abord appelé « Gemina », puis « La liste noire ».
Je l’ai lu et l’ai trouvé magnifique. Mais je suis entrée dans un rapport bizarre avec ce projet. Quand je m’en éloignais, il m’attirait et dès que je m’en approchais, que je me préparais à m’y engager, il me faisait peur. Je ne savais pas comment l’aborder, je faisais du surplace. Il me disait alors que j’étais trop puritaine, il se moquait de moi. De toutes façons, il ne vivait que pour la transgression. C’était à la fois sa pratique et sa plus forte conviction. Mais il le faisait toujours en dandy.

Je n’ai donc pas tourné le film, lui non plus. Nous nous sommes éloignés. Dans A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, dont je pense par ailleurs que c’est un de ses textes les plus forts, je suis devenue l’un de ses personnages, l’actrice Marine. Il m’avait toujours prévenue que lorsqu’il se mettrait à parler de moi dans ses livre, ce serait pour me trahir.
Qu’il resterait dans la vérité, mais qu’il ne se gênerait pas non plus pour traduire dans la fiction le mécontentement qu’il ressentait à mon égard. Je l’aimais énormément et je sais qu’il m’aimait aussi. Mais tout en moi ne lui allait pas. Je sais par exemple qu’il a été absolument furieux de mon passage au journal de TF1 pour faire taire la rumeur qui prétendait que j’étais morte du sida. Pourtant, j’avais pris soin de dire que j’avais honte d’avoir à affirmer que je n’étais pas malade, comme s’il s’agissait de dire que je n’étais pas coupable. Mais ça l’avait exaspéré.
Lui, il a eu un rapport très ambigu avec sa maladie. Il était depuis toujours fasciné par la mort, par l’agonie… Il recherchait là un vertige. La maladie a transformé ses fantasmes littéraires en réalité terrible. Je crois qu’à ses yeux, mon comportement vis-à-vis de ces rumeurs manquait de lyrisme.
Après notre brouille, je l’ai vu à la télévision, amaigri et malade. J’étais horrifiée. J’ai ressenti beaucoup de colère contre lui. Je pensais qu’il aurait pu éviter sa contamination. J’avais le sentiment qu’il avait fait de lui-même son propre objet d’observation, l’objet de ses expériences. Je ne connaissais plus vraiment les gens qu’il fréquentait, je n’appartenais plus à sa vie. Je n’ai pas eu le courage de regarder son film, sorti après sa mort, La Pudeur ou l’Impudeur.
Notre relation était gémellaire. C’était le frère qui me bouleversait et m’épouvantait. Je ne sais pas ce que j’étais pour lui, probablement une sœur qu’il adorait et détestait. Depuis sa disparition, je n’ai pas non plus relu ses livres. Pourtant, ils sont toujours près de moi, dans ma chambre plutôt que dans la bibliothèque, je sais que je vais m’y replonger. »

Elle en parle ici aussi, avec une variante concernant les photos :

Je l’adorais. Il voulait qu’on tourne un film qu’il avait écrit pour moi, «Gemina». On riait beaucoup. On se donnait rendez-vous dans des vivariums. Il me prenait en photo devant des serpents. C’était aussi quelqu’un de très mauvaise foi. La trahison avait pour lui comme un attrait irrésistible. Tout à coup, il allait montrer à «Paris Match» des photos intimes qu’il avait prises de moi et qui n’étaient faites que pour orner son bureau. Il venait me faire part de son désarroi, comme s’il s’agissait de quelque chose de pulsionnel. A la fin, pris de scrupules, il allait reprendre les photos à «Paris Match».

A un moment, son univers fantasmatique a pris le dessus. Il a décidé de partir vers ce monde imaginaire au péril de sa vie. Il s’ennuyait à n’être que bien portant. Parfois, nous allions au Musée Grévin. La figure de Louis XVII exerçait sur lui une fascination mortifère. Cette métaphore de l’adolescence agonisante le troublait infiniment. Il n’avait pas envie de vieillir. Moi, je me conduisais comme une mère-couveuse avec lui. J’étais toujours à vouloir le réconcilier avec ses tantes. Je crois qu’il n’a pas bien vécu le fait que je vienne dire à la télé, contre la rumeur, que je n’avais pas le sida. Il a pris ce démenti comme une sorte de désolidarisation. C’était si compliqué…

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